Et la Marmite se brisa : épisode 21
Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 21 : BD et passé
Musée d’Art et d’Histoire de Genève.
Le 11 décembre, 10h40 du matin.
« Car c’est de la lumière que viendra la lumière et resplendira… la Croix de l’Aigle ! »
Si je me souviens de cette bande-dessinée ? Non mais, pour qui elle me prend, cette vieille bique ?! Par cœur, Le secret de la Licorne ! Saint-Jean-Baptiste, l’aigle, l’île, les parchemins, les frères Loiseau, antiquaires…les frères Loiseau, tiens donc ! La coïncidence serait trop drôle pour être volontaire… « Aristide Philosèle, un voleur !? »…un satané pick-pocket, oui ! Non mais je vous jure, est-ce que j’ai l’air d’un Dupond-t ?! Et la vieille chouette, Apfel, est-ce qu’elle est comme Tournesol, toujours un peu plus à l’ouest ? Sans rire Burnier, qu’est-ce que vous lui trouviez, à cette nana ? Avec sa peau en parchemin et ses baskets… C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes ? Eh bien, en matière de marmite, nous voilà servis !
Ça se bouscule dans la tête de l’inspecteur Tabazan.
L’évocation de l’album de Tintin, lancée comme en passant par Miss Apfel (mais était-ce réellement un hasard… ?), a déclenché un feu d’artifice de souvenirs, réminiscences de ses journées d’enfant et des siestes faussement dormies, réellement passées à lire et relire et re-relire les aventures du petit reporter, à la faible lumière filtrant à travers les persiennes. L’édition double cartonnée qu’il prenait dans l’étagère de sa grand-mère. La couverture montrant dos-à-dos Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. La vague odeur de moisi et de colle de mauvaise qualité qui avait été appliquée pour sauver la reliure, complètement craquée par des lectures et relectures de plusieurs générations. Sa mère, ses oncles et tante, d’abord, puis ses cousins, son frère aîné ensuite… Sa mère, qui faisait semblant de croire qu’il avait dormi – à quoi bon ? –, son expression innocemment complice devant son petit garçon qui redescendait pour le goûter, les yeux bouffis par l’effort de lecture dans la pénombre. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… » Alorslà non, aucun rapport ! Tu dérives, Zacky, se reprend l’inspecteur en tentant de mettre bon ordre dans le fil de ses souvenirs. Et puis ses goûts en matière de BD ont bien évolué depuis son enfance. Après une période de rejet, par pur snobisme, à l’adolescence, il y est finalement revenu. Mais plutôt par l’humour. Gotlib, Zep, Maëster… puis l’heroic fantasy. Les mangas, niet ! Jamais accroché. Pas sensible à l’esthétique du genre… Bof ! j’aime pas ça et puis, c’est tout. Pour un inspecteur de police, Tabazan peut être très terre-à-terre, quand il s’agit d’introspection.
D’ailleurs, ça lui fait penser qu’il doit rendre le premier tome du Sommet des Dieux à Caroline… il n’a pas été plus loin que la page 21.
Tintin !… Pourquoi pas Boule & Bill, aussi ? Ou Blake et Mortimer, tant qu’on y est. Quoiqu’avec ces éviscérations, on s’écarte significativement de la Ligne Claire. A-t-on seulement vu une goutte de sang dans les cases de Hergé ou de Jacobs ?! Des hiéroglyphes, des biplans, des ondes télépathiques, oui. Des pharaons, des sociétés secrètes, des trafiquants de narcotiques, des armures, oui. Mais des tueurs en série …
Concentre-toi, Zak, concentre-toi. Focus, bordel ! Tu es avec un témoin. Chiant comme La Recherche du temps perdu, certes, mais ce n’est pas une raison pour être négligent dans l’exercice de tes fonctions.
« … quand ce ne sont pas des rats crevés ! On dirait que tous les greffiers du quartier se donnent rendez-vous pour jouer avec leurs proies dans l’arrière-cour du Musée. ‘Pouvez pas savoir la quantité ni l’état dans lequel je retrouve certaines charognes. Pis, insistants comme tout, ces foutus chats, c’est tout juste si un coup de balai les écarte. Alors si maintenant ils s’en prennent aux musiciens… ‘m’direz, eh ! ils ont souvent une queue-de-pie, ces animaux-là… alors comprenez, le réflexe quoi. Hin-hin-hin. »
Les divagations intérieures de l’inspecteur Tabazan ont laissé tout le loisir au concierge du Musée d’Art et d’Histoire d’exposer ses thèses en zoologie comportementale féline, appliquées au milieu urbain. D’un coup d’œil à son portable, le policier constate que cela va faire presque une heure que l’homme lui tient la jambe. Un flot ininterrompu de paroles !
Et pas un passage intéressant dans sa dissertation-fleuve. Si on turbinait le quart de ce qu’il débite, on pourrait produire de quoi éclairer le Canton de Genève pendant tout le mois de décembre. Et ça continue…
« Je dis ces “animaux”, je parle des musiciens, hein. Je n’ai rien contre eux, allez pas croire, mais avouez que c’est une façon un peu… comment je pourrais dire… mettons, détendue de gagner sa vie. Et encore ! On dit pour les animaux – les vrais, je veux dire – mais je ne vous raconte pas comment il m’arrive de retrouver certaines toilett… »
« Ce ne sera pas utile, en effet ! » s’empresse de l’interrompre l’inspecteur, cette fois totalement revenu à la réalité. « Pour ce qui concerne notre enquête, je crois que vous avez indiqué l’essentiel au préposé qui a pris votre première déposition. » Et je vous remercie bien pour le petit supplément. « Merci pour votre collaboration et si, d’aventure, il vous revenait un détail crucial, n’hésitez pas à nous contacter. »
« Ma foi, comme je disais à votre collègue… »
Prenant instantanément conscience de la grossière erreur stratégique qu’il vient de commettre, l’inspecteur s’apprête déjà à mobiliser l’ensemble de ses muscles pour négocier au mieux la nouvelle déferlante verbale qui s’amorce. Plus salvatrice qu’une décharge de défibrillateur, il ressent une secousse dans sa main droite – le vibreur de son portable – et une sonnerie se met en marche. Étouffant un soupir de soulagement et affectant son air le plus désolé, Isaac Tabazan mime machinalement un « Pardon, je dois prendre cet appel. » à l’intention du concierge et, se dirigeant illico vers l’intérieur du bâtiment, salue poliment le volubile monolocuteur.
« Bonne journée Monsieur !… Monsieur… ? »
« Terment, Tristan Terment », répond le concierge. « Vot’ service, inspecteur ! »
Il monte sur le perron. « Tabazan, j’écoute… » Impatient, il franchit machinalement la porte du musée. « Alors ? Du nouveau ?! »
*
Rue Basse – dans les murs de Genève
Le 1er décembre 1602, peu avant midi
Dans cet atelier d’orfèvrerie, en arrière-salle de la fabrique, le Maître Serin et son apprenti s’employaient à apporter les dernières finitions à une boîte à secret ornée de pierres semi-précieuses, commande d’un riche notable de la ville.
Thibault Vogel, l’apprenti, était un jeune homme de seize ans, fils de réfugiés huguenots. Passionné par les carillons et les mécanismes de tous ordres, il excellait dans les travaux requérant la plus grande précision et s’enflamme en particulier pour les mécanismes d’horlogerie, ainsi que leur perfectionnement.
Datant de moins d’un an, la collaboration avec son maître se révélait particulièrement fructueuse. Leurs savoir-faire se complétaient à la perfection et, même si les œuvres de Serin se révélaient toujours de qualité supérieure, force était de constater que l’arrivée de ce garçon n’était pas étrangère au renom récent de la fabrique.
À quatre mains, ils avaient composé de nombreux objets de prestige, dont le raffinement et la qualité d’exécution ornaient désormais les boudoirs et les alcôves des plus cossues maisons de Genève.
Le tumulte au dehors et la menace du siège de la ville ne troublaient pas leur ouvrage, mais alimentaient toutes leurs conversations.
« Maître, pensez-vous que la République soit en péril ? La ville est plus isolée que jamais, politiquement, et l’on dit que les troupes de Savoie deviennent bien impatientes… »
« Mon garçon, les temps sont troubles et il y a fort à craindre pour la Cité. Ce serait mentir que de dire le contraire. Mais les murs de la ville sont solides et ses habitants déterminés. Alors, gardons bon cœur. Que ne te réjouis-tu pas de tes prochaines fiançailles ? La demoiselle est, dit-on, très accorte… et bien née. »
« On le dit… car c’est vrai. Et la famille Favre est des plus influentes… Je m’étonne encore de ce que mon père a su faire valoir ma cause en aussi haut lieu. Mais Jean Vogel n’a pas son pareil pour s’attirer les bonnes grâces des puissants… quelle qu’en soit la façon, elle est des plus efficaces. »
« Hâtons-nous de terminer ce coffret, le client viendra le prendre ce soir. »
« Oui, Maître. Au fait ! J’ai eu l’idée qu’il serait possible de doter ces boîtes d’un système qui aurait pour effet de jouer de la musique lorsque l’on en ouvre le couvercle. On pourrait y disposer un mécanisme à ressort et engrenages qui feraient tinter des… »
À cet instant, le carillon de la porte de la boutique retentit et Serin quitta la pièce pour aller au-devant de la clientèle :
« Maître Piaget, cher confrère, que me vaut l’honneur ? »
« Une commande, Maître Serin. Je vous apporte la pierre de citrine que voici et je vous demande de m’en faire un bijou qui siérait tant à une femme qu’à un homme. »
« La jolie pierre que voilà, en effet ! Avez-vous une idée précise du bijou ? »
« Vous êtes l’orfèvre, faites-moi un projet. Je vous ai donné ma seule consigne. »
« Fort bien, fort bien ! Nous verrons. Revenez dans une semaine, j’aurai quelques croquis à vous soumettre. »
« C’est entendu. Au fait, comment se porte votre prodigieux apprenti ? »
« Au mieux, je vous remercie. Même s’il est inquiet de la situation politique – qui ne l’est pas ? »
« Un jour, tout rentrera dans l’Ordre. Allons, il est tard et l’on m’attend. Bonsoir. »
Sans attendre un salut en retour, Piaget sortit prestement de la fabrique, en manquant de trébucher sur un chat qui s’engouffrait en même temps que lui dans l’ouverture de la porte.
Antoine Bachelier
La suite arrive vendredi prochain, à 17h !
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Photo : © Arcaion
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