Le banc : cinéma

Festival Histoire & Cité : Voyage au bout du monde

DOCUMENTAIRE-FICTION – Sombre, menaçante, industrielle, New York se dresse au bord de l’Atlantique. Chaussée de bottines jaunes à talons, Lillian se fraie un chemin parmi les gravats d’un port désaffecté. Elle s’assied pour regarder passer les hélicoptères.

Jeune femme d’origine russe, Lillian n’est pas intimidée par la mégapole qui l’entoure. Mais New York n’a plus rien à lui offrir, son visa étant échu depuis six mois : elle doit rentrer en Russie. Aventurière intrépide, la clandestine choisit de rejoindre son pays natal à pied – elle traversera les canyons désertiques, la rivière du Mississipi ou encore les petites villes de l’Amérique profonde, pour rejoindre la Sibérie orientale par le détroit de Béring.

Inspiré d’une histoire vraie[1], ce film splendide part sur les traces de cette voyageuse que rien n’arrête. Lillian est le treizième film d’Andreas Horvath, un réalisateur autrichien récompensé par de nombreux prix. Invité au Festival Histoire et Cité 2021, il a révélé les coulisses de cette production.

Aucun des protagonistes du film, a-t-il expliqué, n’est interprété par un acteur professionnel. Durant le tournage, qui a lui-même constitué un voyage d’une année en Amérique, Horvath et son équipe ont demandé à des passants de jouer leur propre personnage. Ils apparaissent donc à l’écran au naturel, tel que le cinéaste les a rencontrés. Ainsi, Lillian est autant un documentaire sur la voyageuse que sur les individus auxquels elle a dû être confrontée : ils constituent cette Amérique profonde qui souffre d’un manque de poids sur la scène politique et de visibilité dans les médias.

Réalisateur, producteur et éditeur, Andreas Horvath est aussi le compositeur de la bande musicale du film. Tantôt légère et mélodieuse, elle reflète le monde intérieur de la voyageuse. Tantôt sombre et inquiétante, elle rappelle les dangers de son itinéraire. Plus d’une menace pèse en effet sur la clandestine russe – en témoignent les panneaux qui bordent la Route des larmes au Canada, affichant les portraits des voyageuses parties faire du stop et jamais revenues. Lillian frise-t-elle la folie ? C’est ce qu’ont l’air de se demander, une après-midi, les vaches hébétées devant qui elle se lave dans un champ, nue en plein air et en plein jour… Mais Lillian ne se soucie guère de ce que l’on pense d’elle. Elle poursuit, farouche, son itinéraire au fil des saisons et au fil des scènes qui ont toujours un double sens, concret et symbolique. Ce film saisit aussi quantité de paysages majestueux dans lesquels la marcheuse se fond. Mais les conditions météorologiques se font si rudes que la caméra elle-même semble sur le point d’abandonner…

Conté à la manière d’une légende indigène, ce documentaire-fiction est un hommage au projet titanesque de la véritable Lillian Alling, mais aussi à la beauté et à l’immensité du continent américain. Fin, artistique, époustouflant à tout point de vue, Lillian est un film à ne pas manquer.

Lucie Krey

Référence : Lillian, Réal. Andreas Horvath, AT, 2019, Coul., 128’, 16/16, vo st fr.

Photo : © 2020 Nour Films (https://www.nourfilms.com/cinema-independant/lillian/)

[1] L’aventure de Lillian Alling, qui s’est déroulée de 1926 à 1929, a déjà fait l’objet de plusieurs œuvres fictionnelles, dont le roman Away d’Amy Bloom (2007), le film La piste du télégraphe de Liliane de Kermadec (1995) et l’opéra Lillian Alling à Vancouver (2010).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *