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Tout commence… dans un Jardin (2)

Pour commencer, nous avions une idée inédite : nous allions faire un Jardin. Et nous avions même déjà un nom – Éden[1].

Selon un point de vue largement partagé, les jardins ont toujours quelque chose de singulièrement beau et de difficilement intelligible. À mon avis, ça s’explique par les quantités d’huile de coude qu’il faut utiliser pour les entretenir : faire un Jardin, c’est tout une histoire. Il ne suffit pas, comme certains l’affirment sans savoir de quoi ils parlent, de prononcer vaguement une Parole dans le Néant – genre Que le Jardin soit ! Non. C’est un peu plus compliqué que ça et, pour faire les choses bien, il faut avoir un minimum de sens pratique.

Et, comme Elle en manquait pathologiquement (juré, je noircis à peine le trait !), heureusement que moi, j’étais là.

Dans quelle galère m’étais-je donc embarqué…

*

  1. Or donc, au commencement, Elle (ou plutôt : nous, mais la tradition n’a pas retenu cette version) créa le ciel et la terre.

J’avais ajouté mon grain de sel, évidemment, en précisant que pour mettre sur pied un Jardin vraiment ineffable et respectueux des normes écologiques alors en vigueur, il fallait une planète modeste, ni trop grande (pour éviter de grever le budget dédié à l’arrosage), ni trop petite (pour éviter de devoir tailler trop souvent[2]). De plus, cette planète devait être rocheuse, avec un terrain assez fertile pour accueillir toutes sortes de végétaux. On ne ferait rien de bien avec une géante gazeuse du type de celle qui se construisait à quelques encablures spatiales de là, sur un chantier que nous avions sous-traité à Jupiter & Cie, une boîte à l’origine spécialisée dans la mythologie polythéiste et fraîchement reconvertie dans le bâtiment.

Fort heureusement, mes observations judicieuses Lui ont fait revoir à la baisse Ses envies de grandeurs : finalement, les travaux ont été lancés et, en deux temps trois mouvements, nous avions notre planète.

La Terre.

Une fois les grutiers et terrassiers partis, notre ciel et notre sol étaient posés. Entre-temps, les plombiers s’étaient s’occupés de l’irrigation, mais avaient franchement salopé le boulot. De la flotte partout (un phénomène bêtement physique que nous n’avions pas anticipé : l’eau, ben ça coule), et la terre informe, vide – et Elle, là, sans esprit d’initiative, contemplait tout ça en se mouvant au-dessus des eaux ! Sans parler des ténèbres, à la surface de l’abîme : comme souvent sur les chantiers de grandes envergures, les électriciens avaient du retard.

Bref, c’était le bordel.

J’ai pris les choses en mains et finalement, la lumière fut. Sans blague, personne ne m’a jamais remercié pour ça, mais si je n’avais pas secoué les électriciens en les menaçant de rupture de contrat (toujours menacer de se tourner vers la concurrence !), nous nous serions retrouvés avec autant de lumière que sur Pluton. Ou pire. Après, je reconnais quand même qu’Elle a séparé la lumière des ténèbres. L’un dans l’autre, ce n’était pas une mauvaise idée.

Il y eut un soir, et il y eut un matin – et comme tout le monde le sait, ce fut le premier jour.

*

  1. Ensuite, il a fallu s’occuper du problème récurrent des canalisations : le terrain était détrempé, impossible d’y planter quoi que ce soit ! Heureusement, les plombiers avaient donné deux-trois indications pour remédier facilement au problème. C’est donc Elle qui a séparé les eaux du ciel – marrant, quand on y pense, il semble qu’Elle a toujours été doué pour séparer les choses…

Et ce fut le deuxième jour.

*

  1. Nous nous sommes alors sérieusement penchés sur la question de la gestion des sols : les eaux ont été réunies en un seul lieu, pour que le sec paraisse. Comme il faut donner des noms aux choses, j’ai proposé d’appeler ça « terre » et « mer »[3].

Alors, Elle a vu que c’était bon et s’en est félicité – une habitude assez agaçante parce que, franchement, QUI s’est occupé des tâches les plus ingrates, à votre avis ? Comme rien n’avançait (c’est fou de voir que, quand on engage des ouvriers du bâtiment intérimaires, leur efficacité est inversement proportionnelle à leur nombre), j’ai soulevé la question du Jardin : il fallait commencer à y penser rapidement, histoire de ne pas se planter dans les semis et les floraisons à venir. Au final, comme Elle n’avait que peu d’affinités avec le végétal, Elle m’en a chargé. Moi, qui L’avais pourtant défiée tant de fois. « Tu feras ça très bien », Elle a dit, en m’envoyant un de ses sourires qui me faisaient naître des étoiles dans le ventre et me donnait envie d’aller créer la Lune, juste pour voir si Elle me sourirait encore.

Au début, j’y ai vu un signe de réconciliation. Tu parles.

À la Jardinerie-Cosmique[4] (deuxième à gauche après la supernova XP-65Ω, cinq minutes après le les astéroïdes Ik-89), la vie éclatait à foison – mais j’avais établi une liste précise et je savais ce que je voulais. Du vert, du vert et encore du vert ! À l’époque, la couleur était peu en vogue, pour ce qui était de la création de végétaux : les divinités en place préféraient miser sur le clinquant et le m’as-tu-vu. J’ai fait le plein de verdures, herbes, semences, arbres fruitiers.

C’est en repartant que je les ai aperçus.

Ils étaient deux, à l’écart, dans un grand bac avec un panneau « Soldes ». Deux arbres, apparemment sans histoire, aux troncs un peu tortueux. Ils avaient l’air un peu secs, ce qui expliquait probablement le prix réduit[5]. D’un naturel curieux, je me suis penché sur la première étiquette : Arbre de vie. Pas très original. Le deuxième, en revanche, a attiré mon attention. Ses branches étaient chargées de pommes…

… et l’étiquette disait : Arbre de la connaissance du bien et du mal.

Voilà qui paraissait intéressant. Le vendeur, fort aimable, m’a appris que la variété était nouvelle, mais ne trouvait pour le moment que peu d’acquéreurs. Ma foi, Elle m’avait donné carte blanche pour les plantes. J’ai donc pris les deux arbres et la carte de fidélité de la Jardinerie-Cosmique (c’était toujours ça).

Une fois le Jardin planté à la surface de la Terre, ce fut la fin du troisième jour.

*

  1. Les choses se sont alors un peu précipitées : Elle voulait voir le résultat final, et au plus vite.

Le quatrième jour, les électriciens revenaient en hâte pour installer les luminaires dans l’étendue du ciel. Très pratiques pour séparer le jour et la nuit, ces trucs, je n’aurais pas fait mieux. Bien sûr, les deux plus grandes ampoules ont coûté un budget conséquent à l’achat et doivent être révisées chaque année… mais enfin, quand on veut un soleil ET une lune, faut se donner les moyens ! J’ai entendu dire qu’au niveau dépenses, ça allait un peu mieux depuis qu’Elle avait opté pour un éclairage LED (Michel m’a envoyé un mémo l’autre jour pour m’avertir qu’ils allaient même toucher des subventions pour ça, Là-Haut – quel vantard !).

Fin du quatrième jour.

*

  1. Elle s’est ensuite consacrée à la production en masse des animaux.

Sur ce coup, j’ai été méchamment écarté de l’affaire : après tout, j’avais eu mon compte avec le végétal. Une manière, sans doute, que je ne m’attribue pas tout le mérite de la chose. Pourtant, j’en avais, de bonnes idées ! Ne serait-ce qu’à propos des dragons ou des licornes, deux espèces qu’il me tardait d’inventer (bon, sur ces coups-là, je me suis rattrapé par la suite).

Au niveau zoologique, j’ai quand même réussi à apporter ma touche, en suggérant l’existence du serpent, un reptile doué de pattes et à l’intelligence plus développée que la moyenne. Comme d’habitude, Elle a trouvé mon idée excellente et S’en est  attribué tout le mérite – du moins, au début.

Ce fut la fin du cinquième jour.

Le Serpent
(propos recueillis par Magali Bossi)

Vous pouvez retrouver l’épisode 1 ICI !
La suite est par .
Et l’épisode 4 arrive mercredi à 11h !

Photo : © mploscar

[1] Ça, c’était mon idée – je suis doué pour le grandiloquent et le poétique. Dommage que personne ne s’en souvienne : si, à l’époque, on m’avait parlé des droits d’auteur, je n’imagine même pas le petit pactole que j’aurais aujourd’hui…

[2] Comme Antoine de Saint-Exupéry longtemps après moi, j’avais rencontré le Petit Prince, sur sa planète minuscule envahie de baobabs. Très peu pour moi !

[3] Je ne sais pas pour quoi, mais sur le coup, je me suis dit que ce genre d’appellation allait faire fureur dans les restaurants – que nous n’avions pas encore inventé, soit dit en passant.

[4] Acronyme : « J.-C. ».

[5] Ce détail des feuilles sèches est, quand on y pense, plutôt amusant… surtout quand on pense que dans les représentations artistiques (et les dessins d’enfants) postérieurs, les êtres humains montrent l’Arbre comme quelque chose de grand, avec un Tronc Droit parfaitement brun – et des majuscules, pour bien qu’on sache bien de quoi on parle. Au-dessus, les Branches sont réparties de manière tout à fait équilibrée. Les Feuilles, quant à elles, constituent un amas d’un vert intense (avec parfois quelques variations, selon les velléités du peintre – en herbe ou pas). Voilà comment est l’Arbre, dans l’imagination humaine. De la foutaise, si vous voulez mon avis.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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