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Tout commence… dans un Jardin (1)

Il était une fois…

… non, ça ne peut décidément pas débuter comme ça. Il va falloir trouver autre chose, j’ai une réputation à tenir, moi. Réfléchissons… heu… au commencement… oui, c’est ça !

Au commencement, il n’y avait – rien.

Voilà, ça, c’est un début qui marquera les esprits – quoi qu’il ne soit pas rigoureusement exact.

*

Au commencement, en réalité, il y avait quelque chose (il y a toujours quelque chose, même le vide est un quelque chose, après tout). Mais comme il s’avère difficile de qualifier ce « quelque chose », pour des raisons métaphysiques évidentes, nous allons nous contenter de dire que, dans ce petit coin d’univers précis, là, juste entre les circonvolutions de possibles qui porteraient plus tard le nom de poétique de « Système solaire », il n’y avait – eh bien, pas grand-chose, pour être honnête.

Et puis, nous sommes arrivés.

Par « nous », j’entends évidemment, moi et les autres – et Elle, évidemment[1].

Ça ne me fait pas plaisir de le reconnaître (on ne m’appelle pas l’Adversaire pour rien), mais Elle était et nous La suivions. Après tout, c’était Elle qui avait la charge de ce petit bout d’Univers, à présent : Elle avait posé sa candidature pour une location d’un lopin d’Univers, fait l’état des lieux avec la régie, signé le contrat de bail, vérifié que l’administration centrale[2]  avait donné son feu vert pour le lancement des travaux… et, clefs en main, Elle nous avait entraînés à sa suite.

Je peux bien l’avouer : c’était drôlement excitant. Un monde à nous ! Un monde à créer, un monde à inventer ! Ah, nous allions leur en remontrer, à ces vieilles divinités passéistes et rétrogrades qui se partageaient les nébuleuses les plus en vue des Dimensions Infinies : fini de frimer, avec leurs supernovas, leurs trous de ver et leurs orages cosmiques… sans parler de leurs formes de vie improbables – des aberrations sans queue ni tête, pas un brin d’imagination là-dedans, aucune classe ! Non, nous, nous allions faire les choses bien et prouver que nous avions notre place parmi les plus grands. Nous avions un monde à nous – enfin.

*

Bon, je m’emballe un peu : disons qu’Elle avait un monde à Elle, et que nous, nous suivions pour L’assister.

C’est un point qui avait d’ailleurs été largement débattu, avant d’envoyer le dossier de candidature à l’administration centrale. Personnellement, j’avais une position tranchée sur la question : nous sortions de la même promotion, alors pourquoi Elle et pas nous[3] ? Pourquoi mettre Son nom sur le contrat de bail, plutôt qu’un des nôtres ? Le  mien, par exemple ?

Après une pléthore d’arguments et quelques hauts cris, nous avions voté – et la décision avait été prise : Elle aurait en charge la Création de ce monde tout neuf… mais nous aurions notre mot à dire sur les détails (par exemple, la forme des concombres de mer ou le nombre de rayures sur le dos des zèbres – bien que nous ignorions encore, à ce stade, à quoi ressemblait un concombre, ce qu’était une mer et quelle tête avait un zèbre) et les décisions importantes (comme le fait d’opter ou non pour une évolution dite « darwinienne ») devraient  être discutées en commun.

Après tout, on ne badine pas avec la démocratie et j’ai toujours été pour un libre arbitre total.

Bien sûr, Elle m’en voulait : après tout, je venais d’instaurer le premier scrutin de l’Histoire et de remettre sérieusement en question Son autorité – ou du moins, l’autorité toute neuve qu’Elle entendait avoir sur nous. À bien y réfléchir, c’est sûrement à partir de là que nos relations (jusque-là cordiales et empreintes de ce que, plus tard, on aurait désigné comme du… flirt) ont commencé à se péjorer. Mais franchement, quelle idée d’en faire tout un plat ! Après tout, j’avais seulement fait valoir mon droit à un gouvernement démocratique, en dénonçant une situation abusivement autocratique et totalement injuste. Je n’avais agi que pour le bien du plus grand nombre[4].

Bref.

Comme souvent, la chose s’est nivelée d’elle-même – du moins, c’est ce que je me suis dit au début. Alors, quand Elle a enfin obtenu les clefs de ce petit bout d’univers, je me suis joint aux autres – histoire de voir comment tournait la Genèse.

Le Serpent
(propos recueillis par Magali Bossi)

Retrouvez d’ores et déjà épisodes 2 et 3 !

L’épisode 4 sera en ligne mercredi prochain !

Photo : © jarmoluk

[1] Oui, vous avez bien lu – Elle. Ce Jour-là (même si les jours n’existaient pas encore), c’était Elle – et, à bien y réfléchir, ça a toujours été plus ou moins Elle. N’en déplaise aux générations de prêcheurs et théologiens qui se sont succédé par la suite… mais bon, tout le monde peut se tromper, non ?

[2] C’est-à-dire le B.I.G. B.A.N.G., ou « Bureau Inter-dimensionnel de Gestions des Brevets pour Architectes de Nouvelles Genèses ».

[3] Bon, c’était Son idée, d’accord – mais quand même, on ne m’enlèvera pas de l’esprit que c’était un argument un peu facile…

[4] Comment ça, c’est de la mauvaise foi ?!

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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