La plume : créationLa plume : littérature

Tout commence… dans un Jardin (4)

  1. Le septième jour, Elle se reposa (alors qu’honnêtement, c’est nous qui avions fait tout le gros œuvre[1]) et laissa l’Éden tourner tout seul… sauf que ça ne marche pas comme ça ! On nous l’avait pourtant répété et seriné, quand nous étions encore en formation : on ne crée pas un monde pour l’abandonner à son sort sans y jeter un coup d’œil au moins de temps en temps !

C’est comme un rôti ou un soufflé : c’est beaucoup plus simple de vérifier régulièrement ce qui se passe dans le four que de devoir rattraper le coup si le machin a cramé. Sinon, on se retrouve le dimanche midi sans plat principal et sans dessert, avec Tata Odette qui frappe à la porte (en avance, comme toujours) et une vieille boîte de petits pois passés de date comme seul plan B. Imaginez ça à l’échelle d’un monde entier : pour rectifier le tir après des siècles de laxisme, on se retrouve à balancer un Déluge, à envoyer des sauterelles en Égypte ou à laisser crucifier un Messie sur une croix. Charmant. Si ça avait été mon nom sur le bail, ça ne se serait JAMAIS passé comme ça.

Bref. Elle a laissé l’Être Humain se débrouiller. Ce qui m’a donné l’occasion de l’observer.

*

7bis. – C’était passionnant.

J’avais endossé la forme qui me plaisait le plus : celle du serpent, sinueux et doux, qui se faufile dans l’herbe dans un murmure étouffé. La tradition a retenu que le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs – et c’est vrai, je dois dire. Sous cette apparence, j’ai beaucoup observé l’Être Humain, dans ces Premiers Jours de Repos Post-Création (après tout, moi, je n’étais pas en congé sabatique). Après une phase de découverte mutuelle, Femme et Homme semblaient en être venus à un commun accord : ils étaient différents, ce qui ne les empêchait pas d’être complémentaires et de s’emboîter parfaitement, à l’occasion.

Les Êtres Humains s’entendaient bien entre eux et pourtant, ils ne comprenaient pas leur environnement : que faire de ces animaux, de ces plantes ? Devaient-ils dominer sur eux, comme Elle le leur avait dit ? Et si oui, comment ? Ils ne savaient pas, ils ne savaient rien : c’étaient des enfants illettrés face à une encyclopédie. Et encore, je trouve la métaphore vâchement limitée.

J’eus alors une idée – oh, pas la meilleure, c’est vrai, mais une de celle qui a durablement influencé ma vie.

Je fis ce que tout partisan du libre arbitre aurait fait à ma place : je donnai le choix à la Femme et l’Homme. Contrairement à la version communément admise, je leur parlai à tous deux. Je leur expliquai l’Arbre-acheté-en-soldes (cette histoire de « soldes » les a d’ailleurs beaucoup intéressés), le fruit, la connaissance – la possibilité de savoir, aussi bien qu’Elle et moi, la place qui leur revenait dans la Création Toute Neuve. Il me semblait important de leur fournir de meilleures cartes que celles qu’ils avaient déjà en main, histoire de rééquilibrer un peu la donne. Alors, tous deux, ils virent que l’Arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence.

Ils prirent de son fruit et en mangèrent.

*

  1. À qui était la faute ?

À personne… ni à la Femme, ni à l’Homme, qui avaient mangé ensemble le fruit… et certainement pas à moi ! Je n’ai fait que rétablir un équilibre : on ne crée pas des créatures pensantes sans leur fournir un mode d’emploi du schmilblick. Évidemment, Elle ne l’entendit pas de cette oreille. Elle décréta derechef que la Femme et l’Homme Lui avaient désobéi (ce qui, honnêtement, était un peu vrai – les règles sont faites pour être violées, après tout), et les a mis à la porte du Jardin. Propre en ordre, au revoir M’sieurs-Dames et débrouillez-vous. J’ai bien essayé d’intercéder, d’argumenter, mais Elle ne m’écoutait pas. Sa fureur était terrible et, un instant, je me suis demandé si je n’avais pas été trop loin.

Elle ne souriait plus du tout et ça me manquait.

*

Au final, je ne suis pas trop mal tiré : Elle m’a chassée d’Éden, me condamnant à ne jamais reparaître devant Elle. Tu parles ! Elle sait que je serai toujours là – deux pas derrière Elle, pour corriger Ses erreurs[2].

La suite est connue : d’autres que nous se sont emparé de l’histoire et, au fil des siècles, ont tracé le récit de la Chute de l’Homme, poussé au péché par la Femme – et par moi. Quelle blague ! Si je ne nie pas mon rôle dans cet épisode, je dirai qu’il est cependant inexact sur bien des points et que les torts sont largement partagés. Mais, sur ce point comme sur tant d’autres, Elle ne m’écoute pas et laisse le monde aller comme il va…

Enfin, pour conclure sans m’appesantir, je dirai simplement qu’il faut se méfier des pommes. Moi, je n’en ai plus jamais mangé.

Le Serpent
(propos recueillis par Magali Bossi)

Pour retrouver l’épisode 1 de ce texte, c’est ICI !
Et pour l’épisode 2, c’est par LÀ !
L’épisode 3 est ICI !

Photo : © Pexels

[1] Je tiens à préciser que, sur ce coup, je n’ai même pas eu de prime pour mes heures sup’. Une honte. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi j’avais créé les syndicats ? Ben, précisément pour cette raison.

[2] Elle le sait même si bien que nous nous téléphonons trois fois par semaine et que, tout aussi régulièrement, nous nous retrouvons dans des restaurants de standing (c’est toujours moi qui paie, mais je fais passer ça en note de frais – l’Enfer est pavé de bonnes intentions et doté d’un compte en banque conséquent). Pour être honnête, la prochaine fois qu’Elle me propose de monter Là-Haut pour un dernier verre, je vais accepter.

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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