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Mondes imaginaires : bestiaire fantastique (3)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs.

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offre des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires propose un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, découvrez un texte de Sébastien Aubry ! Le thème de l’atelier était le bestiaire fantastique. Vous allez rencontrer un chat… et, promis, vous allez avoir… PEUR ! Bonne lecture !

* * *

La créature de la nuit

Il se tenait là, devant moi, un pelage noir couleur de jais qui miroitait sous les rayons de lune, à l’instar des cristaux de charbon. De ses yeux couleur émeraude qui luisaient dans la nuit, il me regardait fixement, en arrêt, prêt à bondir. Et moi, à l’image d’une victime expiatoire allant au sacrifice, je lui faisais face, telle la proie dans l’attente inexorable de son fatal destin. Et l’inertie de sa posture instillait en moi une peur indicible, goutte après goutte, comme un puissant acide dévorant mes entrailles et paralysant ma volonté de lui échapper. Sa queue serpentine, se mouvant et se tordant en contorsions ondulatoires, à la manière d’une danse langoureuse et ensorcelante, avait sur moi, de façon paradoxale, un effet apaisant et soporifique. J’étais à sa merci.

Dressé telle une sphinx majestueuse sur ses pattes avant, le protomé saillant, il demeurait ainsi quasi immobile sur une éminence rocheuse ou sur la souche gigantesque d’un arbre millénaire. Je ne distinguais pas vraiment. Mes yeux, ne s’acclimatant pas à l’obscurité, tant ils étaient hypnotisés par le regard inquiétant de la créature, n’arrivaient pas à définir la nature exacte du terrain où cet être surnaturel avait pris position. J’étais subjugué, tétanisé, habité par la terrible et ancestrale peur que j’éprouvais en face de cet animal mystérieux et déconcertant. Mon esprit, bien qu’inhibé par la terreur, en venait toutefois à une réflexion désespérée sur la raison imbécile qui m’avait poussé à m’aventurer seul dans les bois à la recherche de frissons et des dangers inhérents à une nuit de pleine lune. Peut-être le besoin de vaincre mes phobies m’avait-il guidé sur le chemin de ma perte ? Mais rien ne m’avait préparé à cette rencontre insolite et irréelle, entre rêve et réalité. Que me voulait cet animal fantastique, tout droit sorti de mes obsessions ? Cela faisait bien une demi-heure que je restais pétrifié devant cette vision de cauchemar. Cela me paraissait le temps d’une existence entière. Et la hideuse bête demeurait là, en face de moi, figée, attendant son heure, cet instant fatidique où elle se déciderait enfin à se jeter sur moi tel le fauve sur l’innocente antilope, à me saisir au niveau de la jugulaire avec ses crocs acérés, à planter ses griffes aiguisées dans ma chair et à en finir avec moi en un instant, bref et irrémédiable, durant l’éternité duquel la vie s’évaderait de moi dans une mare de sang écarlate. Je ne pouvais pas bouger, même le moindre cil. J’avais peur.

Terriblement. Irrévocablement.

Soudain, l’animal se raidit, renifla, râla, commença à trépigner. Comme si une autre présence que la mienne venait perturber l’attente interminable de ma fin annoncée. De manière providentielle, une silhouette apparut derrière moi, une torche électrique à la main. Je sentis la chaleur du rayon de lumière sur ma nuque, mais mon corps faisait barrage entre ce halo éblouissant et l’immonde apparition bestiale qui me faisait face, la laissant dans l’éclipse créée par mon ombre. Tout à coup, après avoir sondé mon esprit et mes craintes pendant de longues minutes, comme un nécromancien ténébreux pénétré par les visions prémonitoires de ma mort prochaine, l’animal ensorcelé, dans un bond prodigieux, se carapata dans l’obscurité, détalant dans le sous-bois touffu, et disparut. Ce fut alors que dans la nuit, tel le hurlement d’un loup appelant ses congénères à la curée, résonna un terrifiant « Miaou ! ». Sur ces entrefaites, l’homme dans mon dos, mon sauveur pourrait-on dire, posa sa main sur mon épaule dans un geste sûr et réconfortant, et me dit :

    • « Par chance, tu n’étais pas une souris ! Viens, rentrons ! Ta mère t’attend pour continuer à lire les nouvelles d’Edgar Allan Poe afin de t’aider à t’endormir ! ».
    • « Maudit chat noir ! » pensai-je.

Sébastien Aubry

Photo : © Mihail_hukuna

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