Les réverbères : arts vivants

Initiation au voyage

Qu’est-ce que cela nous manque de ne pas partir visiter d’autres contrées, se sentir dépaysé·e, découvrir le monde… Et pourtant, grâce à Voyageuses, du 22 au 25 avril, le Collectif Touche Noire propose à son public un voyage entre récits, amitié et musique. À voir absolument.

Au fond de la scène, cachées par un store, deux amies discutent : Marie (Marie Probst) a très envie de partir voyager avec son amie Carole (Carole Bruhin). Mais celle-ci hésite de plus en plus… S’ensuit une longue discussion entre elles sur les préparatifs du voyage, les doutes qui peuvent les assaillir, la façon de vivre le périple… Le tout agrémenté de récits de voyageuses célèbres ou anonymes, d’expériences personnelles et surtout, surtout, de musique. Un véritable spectacle feel-good qui tombe à point nommé pour la réouverture des théâtres !

Un voyage en récits

Pour monter un spectacle, il faut d’abord du texte, sauf s’il est muet, évidemment. Et c’est loin d’être le cas des deux comédiennes-personnages. Car il faut le préciser d’emblée : en utilisant leurs vrais prénoms et en agrémentant leur dialogue de véritables anecdotes personnelles, Marie Probst et Carole Bruhin brouillent les pistes, si bien qu’on ne sait plus trop si c’est une fiction ou la réalité qui se dévoile au spectateur. Sans doute un peu des deux… Le texte s’appuie donc sur des récits de voyage d’Ella Maillart, Alexandra David-Neel, Florence Arthaud, Blanche de Richement, Calamity Jane, Karen Blixen, Linda Gardelle et quelques anonymes. Ajoutez à cela un poème de Jacques Probst et des extraits de récits des deux comédiennes et vous obtenez le mélange détonant qui compose Voyageuses. Comment créer un tout qui fonctionne ? Grâce L’énergie des deux comédiennes, les dialogues qu’elles créent entre les récits créent un liant, et permet au spectateur de les accompagner à travers l’évolution de leurs projets de voyage. Autre point fort de ce patchwork : il permet d’évoquer divers points de vue, différentes manières de voyager, ainsi qu’une pluralité de lieux. Chacun·e y trouvera ainsi son compte à coup sûr, entre camping dans la brousse vietnamienne, visite de la Cité Interdite et hôtel grand luxe près du Taj Mahal…

Un voyage à travers l’amitié

Confronter des points de vue. Voilà sans doute un aspect essentiel de Voyageuses. Si les deux personnages ont lié à coup sûr une profonde amitié, elles n’en demeurent pas moins deux êtres aux visions parfois divergentes. Le goût de l’aventure de Marie contraste ainsi avec la volonté de confort de Carole, quand l’une veut se laisser porter alors que l’autre a besoin que tout soit organisé. Voyageuses, c’est donc, aussi, une belle métaphore de l’amitié, et de toute la complexité que celle-ci porte en elle. On assiste tour à tour à des moments de belle complicité, à des désaccords qui débouchent sur des disputes, à l’évocation de souvenirs heureux, ou encore aux délires personnels que seule une amitié sincère peut créer. Cet aspect est appuyé par le dispositif scénique. D’abord cru et présentant seulement un store et quelques supports montés sur roulettes, il évolue énormément au fil du spectacle, dévoilant un nombre incalculable de trappes, desquelles sortent des instruments – à commencer par un piano, mais également des ukulélés, guitares et autres harmonicas – des objets symboliques, des vêtements… Tous ces objets seront ensuite fixés, chacun à une place, comme des témoins de la relation entre Marie et Claire, des symboles de leur amitié.

 

Un voyage en musique

Vous l’aurez compris, la musique prend une place importante dans la relation et dans le spectacle. Qu’elle soit interprétée en live – comme cet inaugural J’habite tant de voyages d’Allain Leprest ou ce superbe mashup entre Le temps de l’amour de Françoise Hardy et Il est où le bonheur de Christophe Maé – ou évoquée dans les souvenirs des personnages, la musique contribue à inviter au voyage. Un voyage physique d’abord, puisqu’il est question de chemins et de routes, comme dans La marée haute de Lhasa de Sela, ou d’un voyage plus intérieur, à la rencontre des gens et des âmes, comme dans le sublime morceau d’Anne Sylvestre, Les gens qui doutent. Omniprésente, la musique illustre non seulement les propos des personnages, mais aussi leurs états intérieurs, leur réflexion, comme un miroir de leur âme. Elle apporte aussi une touche de légèreté, notamment lorsque Marie et Carole dialoguent dans une succession de citations de grands classiques de la chanson française : grandiose ! Comme dans le reste du texte, elles apportent aussi leur touche personnelle, avec deux compositions de Carole Bruhin, qui nous permettent d’entrer encore plus en communion avec ces deux femmes touchantes. Sans oublier le YMCA revisité final, qu’on a envie d’écouter encore et encore…

Voyageuses, c’est un spectacle sur le voyage, d’accord, mais pas seulement. C’est un spectacle qui invite à se sentir bien, à rire, à s’apaiser, à s’évader aussi… N’est-ce pas là l’une des propriétés du théâtre, qui nous avait tant manqué ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Voyageuses, du Collectif Touche Noire, basé sur des extraits de textes de plusieurs voyageuses, du 22 au 25 avril 2021 au Théâtricul.

Mise en scène : Dimitri Anzules

Avec Carole Bruhin et Marie Probst

https://www.theatricul.net/

http://touchenoire.ch/

Photos : © Collectif Touche Noire

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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