Le banc : cinéma

Atelier critique VDR – courtes critiques (1)

Aujourd’hui, La Pépinière vous emmène au sein de l’atelier de critiques qu’elle organise pendant le festival Visions du Réel. Les participant·e·s ont visionné des courts-métrages et se sont livrés à un exercice de critique courte. Voici les trois premières, signées Lucie Krey, .Alexandre Tonetti et Marion Czarny.

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Révolte silencieuse

« On te tue, on te fait disparaître, et de surcroît tu deviens un détritus » : c’est le destin réservé à trop de femmes et d’hommes en Argentine et en Colombie, à qui Cristina Motta rend hommage avec le court-métrage Surfaces (2021).

La réalisatrice scrute les lieux, mi-poétiques, mi-macabres, où se trouvent les protagonistes absents du film : des gravats sous un ciel azur, les rochers d’une forêt où les oiseaux chantent, une constellation formée par les phares des camions-poubelles sur l’autoroute. C’est après avoir passé vingt-quatre heures dans l’un d’entre eux que la dépouille d’Angeles a été retrouvée, dans une décharge à Buenos Aires. Mais la plupart des victimes n’ont pas cette chance : à Medellín, la fille de Margarita est ensevelie sous une pile de déchets qui continue de croître depuis vingt-cinq ans.

Déterrer les corps pour mieux les enterrer : tel est le vœu de ces familles délaissées par la justice. Mais Surfaces ne proteste que de manière discrète. Ses scènes, empreintes de mysticisme, se contentent souvent de donner à voir la présence des morts, dans le fracas du trafic des camions, dans les roses au-dessus des tombeaux vides, dans le frémissement du vent sur la surface de l’eau. La vulnérabilité de la réalisatrice elle-même se traduit par une caméra parfois tremblante ou disposée en des lieux clos ou sordides. Ce film sobre est une révolte silencieuse contre les violences meurtrières et impunies en Amérique du Sud.

Lucie Krey

Référence : Surfaces, de Cristina Motta, 2021, Argentine, Colombie, 11 minutes.

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Portrait d’une évasion

La Disparition de Tom R. de Paul Sirague nous emmène à la recherche d’un homme ayant disparu il y a maintenant plusieurs années. Revêtant un aspect journalistique, nous suivons au cours de cette investigation une équipe de tournage dans les rues d’Ham-sur Sambre, un village ouvrier belge. L’enquête se fait tour à tour réaliste, parfois loufoque et onirique afin de parvenir à expliquer la disparition soudaine et apparemment sans explication de Tom R.

Les intervenants sont peu nombreux et démunis ; même son fils ne s’explique pas cette disparition. Ils nous dépeignent un personnage sans histoire et laconique peu prompt aux envolées lyriques. Une description qui détonne avec l’un des éléments de l’enquête susceptible de donner une explication au mystère : un long passage de Don Quichotte surligné.

Un autre protagoniste est plus présent : le village. Celui-ci nous est montré en déambulant avec l’équipe de tournage ou encore par des plans fixes, presque photographiques. Comme nous l’évoque le cultissime “Dirty Old Town” joué à la fin, ce village minier peut rappeler de par son esthétique de briques rouges et son histoire minière bon nombre d’autres de l’Irlande que Tom R. a quittée.

Serait-il donc alors parti à la recherche de son destin ? Le réalisateur se garde bien de donner une réponse définitive et laisse l’épouse de Tom R. conclure. Interviewée sur une péniche, mais sans la voir ni l’entendre directement, elle nous raconte sa dernière rencontre, rêvée, avec son mari. Celle-ci se fait sur l’un des bateaux qu’il aimait prendre pour retourner sur sa terre natale. En train de couler, Tom R. l’enjoint à laisser son souvenir derrière elle comme il a laissé sa vie derrière cette porte du café. À l’instar de l’arbre du début, Tom R. semble avoir alors accompli sa métamorphose et transcendé son enveloppe originelle.

Alexandre Tonetti

Référence : La disparition de Tom R., 2021, de Paul Sirague, Belgique, 19 min.

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Éloignement et connexion : un paradoxe ?

Retenue à l’étranger où elle fait ses études, Anna (la réalisatrice) est séparée de sa fille Granni, trois ans. Cette dernière ne peut la rejoindre car la famille est en attente de visa. Don’t Hesitate to come for a Visit, Mom capte les rapports entre la mère et l’enfant, par écrans interposés, rythmés par les gestes du quotidien : repas, jeux, coucher.

Dans ce court documentaire tendre et sensible, le dispositif est simple : le point de vue est celui de Granni, et la caméra est à hauteur de l’enfant. Ainsi, seule la fillette, vive et touchante, est derrière l’écran. Elle restera seule protagoniste derrière la caméra. Derrière l’écran de son téléphone, c’est sa mère qui apparaît. La réalisatrice trouve la bonne distance pour saisir ces instants pourtant très personnels, et petit à petit le spectateur est cueilli par l’émotion. Si l’on comprend vite le dispositif, le film n’est pas trop long et la curiosité ne fait jamais place à l’ennui. La dernière séquence, un plan fixe de 4 minutes, est simple, presque cruelle et bouleversante.

Au-delà de la très belle thématique de la séparation et du rapport mère-fille, le documentaire touche un sujet des plus actuels : notre rapport à et notre présence via les écrans, le manque qui ne peut être que partiellement comblé par les seuls sons et images d’un téléphone. En pleine pandémie, ce court métrage résonne chez chacun d’entre nous. Il agit comme miroir de notre société, une société sans contact, où le virtuel grignote doucement le réel. Sous l’emprise d’une connexion permanente, nous nous éloignons paradoxalement les uns des autres, tout comme Granni et Anna qui attendent de se retrouver.

Marion Czarny

Référence : Don’t Hesitate to Come for a Visit, Mom, de Anna Artemyeva, Belgique, Hongrie, Portugal, Russie, 12 min.

Photos : © DR

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