Les réverbères : arts vivants

Fausses Confidences et vraies manipulations à Carouge

Les mots de Marivaux sont sublimes, la mise en scène d’Alain Françon l’est tout autant. Portées par une troupe de comédiens et comédiennes au sommet de leur art, Les Fausses Confidences séduisent totalement un public qui ne s’y trompe pas en leur réservant une standing ovation. À voir jusqu’au 19 octobre.

Dorante (Pierre-François Garel) a tout perdu. Pour se refaire, il complote avec son ancien valet Dubois (Gilles Privat) pour se faire engager comme intendant auprès d’Araminte (Georgia Scalliet), une belle et riche veuve. Seulement voilà, son oncle Monsieur Remy (Guillaume Lévêque), procureur lié à la famille, souhaite promettre son neveu à Marton (Yasmina Remil), la suivante d’Araminte. Quant à la mère de cette dernière, Madame Argante (Dominique Valadié), elle veut offrir la main de sa fille au Comte (Alexandre Ruby), pour éviter un conflit et lui offrir un bon parti. Il faudra bien intriguer, quitte à compromettre Lubin (Séraphin Rousseau), servant attribué à Dorante, ou encore le jeune joailler (Maxime Terlin), pour que Dubois et Dorante parviennent enfin à leurs fins, à coups de Fausses Confidences dont ils ont le secret.

Du Marivaux dans le texte

On connaît les textes du dramaturge pour leur grande complexité et les faux-semblants, sous couverts de nombreux stratagèmes. Les Fausses Confidences ne dérogent pas à la règle. On retrouve tous les ingrédients qui font le succès de l’auteur : manipulation, discours d’apparence galante, renversements de situation… le tout est brillamment orchestré par Dubois. Gilles Privat excelle dans le rôle de celui qui tire les fils en coulisses, sans que personne ne s’en rende compte. Sa grande force ? Parvenir à nous berner également, nous public, alors même que l’on est au courant de tout. À de nombreuses reprises, on pense que son stratagème ne fonctionne pas, jusqu’à la petite remarque cinglante qui vient ponctuer la scène, pour annoncer que tout se déroule comme prévu. Un rôle tout simplement jouissif pour l’immense comédien qu’est Gilles Privat, magnifiquement écrit par Marivaux et parfaitement dirigé par Alain Françon.

De Marivaux, on apprécie également les quiproquos qui s’installent, sans pour autant tomber dans la comédie de boulevard. Tout arrive toujours tout en subtilité, et les personnages se retrouvent décontenancés, tels les dindons de la farce. Marton est sans doute celle qui en fait le plus les frais, après qu’on ait joué avec ses sentiments. Elle qui croyait avoir un coup d’avance sur tout le monde… C’est là aussi que réside tout le génie de Marivaux : parvenir à mettre en avant chaque personnage, à travers son moment de gloire, ou du moins ce qu’il croit en être un, avant de déchanter totalement et de se retrouver berné. On pense à Araminte qui tente de faire avouer ses sentiments à Dorante, prenant cela pour une victoire, alors que c’est ce que souhaitait Dubois depuis le début. On évoquera encore Madame Argante, persuadée d’avoir démasqué les mensonges de Dorante et de pouvoir s’en débarrasser, alors que c’est tout l’inverse qui arrivera. Et cette vieille chouette – on apprécie d’ailleurs particulièrement les montées de voix de Dominique Valadié pour l’illustrer – se fera prendre à son propre piège…

La victoire de l’amour ?

On pourrait reprocher à Alain Françon un certain manque de prise de risque dans sa mise en scène. Mais cela était-il nécessaire ? On en doute, au vu de la réussite du spectacle. Le texte, on le connaît, est brillant, le reste des choix opérés par le metteur en scène s’avèrent sobres, et suffisent à sublimer les mots de Marivaux. Le décor, qui peut paraître impressionnant, est finalement fait tout en subtilité. On y retrouve de nombreuses ouvertures, permettant les entrées et sorties des différents personnages. Surtout, on peut y percevoir le passage, subtil, de ceux qui manigancent et ne sont jamais loin, au détour d’une porte ou derrière une fenêtre. C’est principalement le cas de Dubois, mais on retrouve aussi Dorante, voire même Marton ou sa maîtresse, quand elles croient avoir découvert le pot-aux-roses… Ces petits gestes, particulièrement subtils, nous montrent bien qui tire les ficelles en coulisses, qui est au courant de tout et tisse sa toile petit à petit.

Car c’est bien de cela dont il est question : tisser sa toile petit à petit. Durant l’acte 1, Dubois dit à son ami Dorante : « Quand l’amour parle, il est le maître ; et il parlera. » C’est à travers les Fausses Confidences qu’il distille un peu partout, créant des quiproquos et autres incompréhensions chez certains personnages, qu’il parvient à faire ressortir les véritables sentiments d’Araminte et de Dorante. Car c’est bien leur idylle qui est au centre du propos, sous couvert du reste. Dubois manigance, s’amuse, fait douter l’un ou l’autre, pour que l’amour se dévoile enfin. On peut trouver cela paradoxal de passer par tant de stratagèmes et de mensonges – si l’on peut parler de cela – pour dévoiler au grand jour un sentiment aussi pur et sincère que l’amour. Mais c’est là toute la force de la plume de Marivaux, arriver à la fois à écrire de faux discours galants, pour en dire bien plus, mais aussi, à l’inverse, de mettre en place toutes sortes de stratagèmes pour faire ressortir la vérité. Une plume tout simplement brillante, sublimée par une mise en scène sobre et efficace, et un casting tout simplement grandiose. On en redemande.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Les Fausses Confidences, de Marivaux, du 24 septembre au 19 octobre 2024 au Théâtre de Carouge.

Mise en scène : Alain Françon

Avec Georgia Scalliet, Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Dominique Valadié, Séraphin Rousseau, Gilles Privat, Yasmina Remil, Alexandre Ruby et Maxime Terlin.

https://theatredecarouge.ch/spectacle/les-fausses-confidences/

Photos : ©Jean-Louis Fernandez

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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