Retrouver les sensations dans les Hautes Zerbes
Pour la quatrième saison, La Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour de chaque création. Dès le 3 octobre, Georgia Rushton et Jérémie Nicolet, soutenus par le Projet ParMobile – Cie l’Alakran, présenteront leurs Hautes Zerbes, une idée qui mûrit depuis deux ans déjà.
Après À l’affût, de Juliette Vernerey, la Cie l’Alakran met pour la deuxième fois à disposition ses compétences, en soutenant le duo émergent composé de Jérémie Nicolet et Georgia Rushton. Avec ce Projet ParMobile, la Cie entend apporter son expérience sur tous les plans, qu’il s’agisse de la production, de la dimension artistique ou de la diffusion. Pour ce faire, les trois pôles sont toujours en discussion et en étroite collaboration avec les artistes, comme cela a toujours été le cas au sein de la compagnie. Il est important pour l’Alakran de soutenir ces jeunes projets, de manière à passer le flambeau, d’une certaine manière, et de permettre de faire perdure le paysage artistique dans toute la Suisse romande et au-delà.
Pour Hautes Zerbes, tout a commencé il y a une quinzaine d’années, lorsque Georgia et Jérémie font connaissance au sein de la troupe junior d’Acrylique. Depuis, une grande amitié et une grande complicité les animent. « On a le même humour », nous confient-iels. Il y a quatre ans, durant le festival L’Été au verger, iels avaient travaillé sur les Histoires naturelles. C’est là que l’Alakran les a approchés, en vue de leur futur projet.
En mai 2023 débute une première résidence de recherche à Romainmôtier – où Jérémie vit d’ailleurs depuis ! – en pleine nature. C’était important pour eux de pouvoir garder cet esprit ouvert et cette spontanéité permise par l’espace extérieur, en étant isolés des gens et des regards externes. Ce sens de l’ouverture et de la liberté se retrouve aussi dans la finalité du spectacle, qui vise, entre autres, à repousser en quelque sorte les murs du théâtre. Difficile en revanche de résumer le propos de la pièce ici, tant il n’y a pas d’histoire concrète, de fil rouge : tout est lié à l’émotionnel, aux sensations. Il s’agit d’envisager une autre perspective de vie, en allant un tout petit peu au-delà de la réalité, sans rien masquer non plus.
Lors de cette première résidence, Georgia et Jérémie ont pu se lâcher, se connaissant déjà très bien, il n’y avait entre eux cette timidité de la première rencontre. Iels ont le même humour et le savent, ce qui leur permet de développer rapidement leurs idées, avant de travailler avec le reste de l’équipe. C’est là, notamment, que le soutien de l’Alakran joue un grand rôle : le Projet ParMobile les a aidés à fixer des rendez-vous, faire des rencontres, et surtout a contribué à améliorer la manière de les préparer. Le travail, au fil des différentes étapes, se fait donc en collaboration avec toutes les équipes. Ainsi, chacun·e connaissant la ligne directrice, peut aussi avancer de son côté sans que Jérémie et Georgia ne soient constamment présent·e·s.
La deuxième étape de travail a eu lieu à la Comédie de Genève, axée principalement sur le jeu et l’espace. En juillet dernier, toute l’équipe était alors présente pour se confronter une première fois au jeu, à la scénographie et aux costumes et imaginer comment aller plus loin. Avant de rejoindre Bilbao pour la troisième étape, autour de la dramaturgie. Le squelette du spectacle a alors été décidé, et c’est de là qu’iels sont repartis lors de leur arrivée dans les locaux de la Maison Saint-Gervais, avec des parties en constante évolution. Il faut dire que le spectacle s’est construit par parties, avec des liens souvent absurdes entre les scènes. Sans fil conducteur net, il faut plutôt prendre le spectacle dans sa globalité, pour ressentir cette sensation de lâcher-prise, de joie, avec une envie de prendre la vie à bras-le-corps. En confrontant les différentes étapes de travail avec les équipes de l’Alakran, une question s’est rapidement imposée : de quoi faut-il s’affranchir pour être libre ? Georgia évoque alors l’idée des pirates, qui se sont affranchis de toutes lois pour vivre selon leurs propres principes. C’est une idée qui a sous-tendu la réflexion autour de Hautes Zerbes.
L’autre porte d’entrée évoquée est l’humour, pour aborder la dimension spirituelle de ce spectacle. Jérémie évoque alors quelque chose de très simple, avec une grande souplesse et l’absence de contraintes. Pour accompagner tout cela, le spectacle sera émaillé de musiques composées pour l’occasion. C’était une évidence dès le début du projet, avec cette envie de chanter et de danser, pour créer aussi des transitions fluides avec le texte, toujours dans cet esprit de sensations et d’émotions, qu’iels veulent partager au public. À noter d’ailleurs qu’ils ont enregistré les morceaux sur une cassette qui sera disponible, avec une pochette spécialement créée pour l’occasion. Jérémie et Georgia nous font alors remarquer que certaines scènes sont apparues parfois spontanément, après des événements de la vie quotidienne qui les ont inspiré·e·s, comme cette rencontre avec un serveur à la politesse presque excessive…
Concernant la scénographie, Jérémie et Georgia avaient une idée dès le départ de quelque chose de joyeux, dans cette idée d’humour et de douceur, sans architecture nette, comme un décor « explosif ». L’espace de jeu présente ainsi un aspect assez brut, avec plein de surprises pour le public. Fleur Bernet, qui signe la scénographie, a beaucoup travaillé en amont, dès le début de l’écriture de plateau, pour imaginer un espace ouvert, sans contraintes, sans véritables limites, avec une grande idée de circulation pour les deux comédien·ne·s. Son décor mêlera ainsi des éléments très théâtraux et d’autres plus imaginaires, tous composés de matériaux de récupération. À partir de blocs de mousse et de sagex, elle a ainsi taillé dans le vif, en découvrant parfois certaines formes spontanément, ce qui correspond aussi au processus général de la création de Hautes Zerbes. Un autre signe de la grande liberté – l’un des thématiques du spectacle – qui règne aussi dans l’équipe, avec ce lien de confiance qui s’est créé. Une fois la base posée, il a encore fallu réfléchir à comment articuler les différents éléments. D’ici à la première, il y aura encore sans doute beaucoup d’évolutions. Enfin, on peut évoquer les différentes textures, qui donnent envie de toucher le décor, avec ces matières plus ou moins dure ou molles, pleines de douceur ou non…
Jérémie et Georgia reviennent ensuite sur le processus de création, avec cette écriture au plateau. Iels ont beaucoup apprécié d’avoir toute l’équipe technique et celle du Projet ParMobile, qui ont pu leur donner des retours, apporter un regard extérieur en lien avec le domaine d’expertise de chacun·e. C’est le double tranchant de l’écriture de plateau, avec cette obligation de se référer à tout le monde, mais le résultat est finalement apprécié.
Il nous faut encore dire un mot sur le titre, avec ce Z presque enfantin, pour créer la liaison. Il n’aurait pas été question qu’il en soit autrement. Hautes Zerbes, c’est un titre qui transmet une énergie, celle que l’on retrouve dans le duo et qu’on ne doute pas de voir sur scène. Ces Hautes Zerbes, ce sont aussi les jeux de l’enfance, et l’exploration, avec ce mélange de peur, de curiosité et d’énergie. L’idée leur est venue d’un moment passé à Romainmôtier, ou iels jouaient avec des bâtons. En revoyant les images qu’iels avaient filmées, c’est devenu comme une évidence. Pour résumer leur spectacle, iels emploient le terme de « vitaliste », sans doute le terme central du projet. Hautes Zerbes, c’est de la pure énergie, dans ces moments de vie compliqués, avec toutes ces remises en doute. Georgia et Jérémie veulent prouver que nous avons toutes et tous les ressources pour retrouver cette énergie, et surtout que nous sommes à même de la communiquer aux autres. Ce spectacle n’a rien d’une introspection individuelle. C’est un appel à l’énergie, dans le jeu, dans le texte, comme dans toute la dimension corporelle qu’il doit transmettre.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Hautes Zerbes, de Georgia Rushton et Jérémie Nicolet, soutenus par le Projet ParMobile – Cie l’Alakran, du 3 au 13 octobre 2024 à la Maison Saint-Gervais
Mise en scène : Georgia Rushton et Jérémie Nicolet
Avec Georgia Rushton et Jérémie Nicolet
https://saintgervais.ch/spectacle/hautes-zerbes/
Photos : ©Compagnie l’Alakran (banner) et ©Maison Saint-Gervais – Matthieu Croisier x Dual Room (inner)