Les réverbères : arts vivants

Fenêtre sur… nu

Les plaisirs d’une honte honnête – Mon voisin nu, de Patrice Leconte – Théâtre Alchimic jusqu’au 9 février 2025

Une bonne, une excellente soirée de théâtre. C’est drôle avec quelques drôleries, une idée de texte pétillante, de bons comédien·ne·s, une mise en scène franche et au bout du compte, une griserie qui tient un peu du trou de serrure.

Dès le lever de rideau, la référence s’impose. Dans ce texte, dans la mise en scène – et les deux ne s’en cachent pas – le film d’Hitchcock Fenêtre sur cour est en filigrane. D’ailleurs, l’affiche du film aurait très bien pu être sur scène tel un clin d’œil. Car dans ce spectacle, l’œil est le héros de l’histoire. Et l’œil regardait… en face.

Un homme passe son temps à vivre nu l’entier de son quotidien. Situation cocasse quand on en est témoin. Bien que… chacun·e fait ce qu’il veut… Seulement, l’absence de rideau tendrait à faire passer l’affaire de farfelue à exhibitionniste et de la drôlerie au voyeurisme selon le point de vue. Partant d’une anecdote personnelle, c’est sur cette crête que l’auteur, en amusement, a posé sa plume avec une vraie joie de fausse innocence. Il y a dans ce spectacle un côté bonne farce, pochade et canular.

C’est du théâtre qui, sous couvert d’humour, oscille entre pudeur, exhibitionnisme et ordre moral.

C’est ce que se dit interloqué François (Frédéric Polier), qui bien que troublé dans son écriture à la rubrique des chiens écrasés, se trouve ravi de cette maline inconvenance et partage ce délice acide avec sa rayonnante compagne Victoire (Nathalie Boulin). L’effet plaisir dérobé est immédiat. Il y a de l’excitation d’adolescent·e dans l’air. Le canapé change de fonction. Enfin, il y a Paul, l’ami (Sarkis Ohanessian) qui termine le triumvirat des guigneurs.

Plaçant le quatrième mur en fond de scène, le public est convoqué au balcon, excellente proposition du metteur en scène Thierry Piguet. Dès lors, il y a un jeu de regards qui tient du tableau des Ménines de Velasquez.

Il est du nu comme de l’or… dès qu’il est découvert… ça fascine. Comment trouver le point d’équilibre entre plaisir coupable et juste retenue ? C’est le thème de la discussion entre les trois ami·e·s, la bouche pleine de pizza et le gosier mouillé de vodka, les fesses sur le canapé et les yeux aimantés sur le voisin nu. La vraie question est de savoir qui est le plus coupable ? Celui qui se montre où celui qui regarde ? L’indiscret ou celui qui s’expose ? C’est en cela que ce spectacle quitte çà et là l’espièglerie, pour mettre en évidence cette vraie question ? Car l’exhibitionnisme est commun à tous et toutes, sans cela, la pudeur ne serait pas une vertu et c’est cette dernière qui fait la différence.

Les trois poursuivent leur quête du nu, trouvant dans ce voisin un parfait filon de curiosité. Ils passent des yeux aux jumelles, des jumelles à la photographie. C’est une situation cocasse, pleine de drôleries qui évoque une double déviance vécue par tant par celui qui provoque que ceux et celles qui transgressent. Un bel équilibre artistique d’écriture et de jeu.

Les comédien·ne·s parachèvent par leur plaisir de jeu, notre plaisir à rire de cette comédie, donc notre plaisir de rire de nous-même. La mise en scène de Thierry Piguet valorise par de multiples touches brillantes cette pièce qui se termine un peu de manière attendue à la fin du texte et plutôt drôle à la toute fin du spectacle.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Mon voisin nu de Patrice Leconte – Théâtre Alchimic du 21 janvier au 9 février 2025.

Mise en scène : Thierry Piguet

Avec Nathalie Boulin, Olivier Lafrance, Sarkis Ohanessian, Frédéric Polier

https://alchimic.ch/mon-voisin-nu/

Photos : © Laetitia Lafrance

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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