Les réverbères : arts vivants

Fin d’adolescence à la croisée des chemins

Pour débuter la seconde partie de saison, les Amis musiquethéâtre accueillent la troupe de Yann Reuzeau pour De l’ambition, où cinq jeunes, à la fin de l’adolescence, se retrouvent entre deux étapes de leur vie. Un brillant récit pour un moment de vie difficile.

Tout commence au lycée, avec un groupe de quatre amis. Il y a Léa (Gaia Samakh), qui s’impose comme la leader du groupe, elle qui est promise à de grandes études et met tout en œuvre pour aider tout le monde. Elle est en couple avec Jona (Gabriel Valadon), petit bourgeois qui vit seul dans son appartement depuis le départ de ses parents et qui est devenu dealer. Parvaneh (Ines Weinberger), d’origine iranienne, est tiraillée entre sa foi musulmane, l’envie de départ de sa famille et son intégration dans la culture française. Quant à Elliott (Julian Baudoin), sous ses airs de gentil rigolo, on ne sait d’abord pas grand-chose de lui. Mais un mal-être plus profond semble sous-jacent. Bien vite, iels intègrent Cécile (Clara Baumzecer), la « bizarre » du lycée, mutique et dans la tête de qui il se passe beaucoup de choses. Le bac approche, et avec lui la fin de l’adolescence. Alors, le groupe se délite, des conflits naissent. C’est ce carrefour que ces cinq formidables jeunes comédiens et comédiennes nous racontent sur la scène des Amis. Tout un symbole.

Évoluer vers l’âge adulte

Difficile pour un·e adolescent·e d’accepter la fin de cette époque, symbole d’insouciance, malgré toutes les difficultés qu’elle comporte. Alors, chacune aborde l’approche de ce moment à sa manière. La mise en scène et le texte de Yann Reuzeau l’illustrent ici avec une grande finesse, en montrant certaines formes d’oppositions et avec un pouvoir de suggestion marqué. Léa, par exemple, verbalise beaucoup, elle veut aider les autres, quitte à en faire trop. Son problème ? Elle n’arrive pas à lâcher du lest, et on comprend rapidement que cela a causé quelques tensions avec Parvaneh. Il en va alors de même dans son couple – si c’en est bien un – avec Jona, qui souhaite simplement qu’on lui lâche la grappe. On soulignera ici son émouvante tirade sur son statut d’homme blanc aisé qui lui permet d’avoir le choix de suivre la direction qu’il emprunte. C’est tout l’inverse pour Parvaneh, qui aurait besoin de prendre du recul et de réfléchir, mais qui semble ne pas en avoir la place, d’où le clash avec Léa. Et que dire d’Elliott, lui aussi perdu, mais qui se cache derrière son humour et dévoile une grande fidélité, étant sans doute celui à qui la séparation du groupe fait le plus de mal.

Mais c’est sans doute Cécile qui est la plus intéressant dans la première partie du spectacle, en termes de mise en scène de son monde intérieur. Alors qu’elle ne parle presque pas avec les autres, la lumière s’assombrit durant certains passages, assortis d’une musique presque angoissante. On la voit accablée de reproches par les autres, alors qu’elle dévoile ses fantasmes. Par des gestes de la main, elle semble contrôler les actions des autres pour les écarter provisoirement et éviter la discussion. Subtilement, on comprend que tout cela se passe dans sa tête, sans d’abord percevoir tout ce que ces moments induisent. Jusqu’à ce que tout s’éclaire dans la seconde partie du spectacle, alors qu’elle se rapproche d’Elliott. On soulignera ici l’impeccable maîtrise du suspense de Yann Reuzeau qui, tout en racontant une histoire somme toute simple, nous plonge dans la profondeur de cette période de transition si complexe. Et comme eux, le décor fait de modules noirs évolue, se transforme, avance et revient en arrière, comme si les lieux avec lesquels iels évoluent et elleux-mêmes ne faisaient qu’un.

Franchir l’étape

Une étape de transition qu’il faut bien franchir. Car aucun·e des membres du groupe ne reste bloqué dans ses difficultés, et chacun·e les surmonte à sa manière. Elliott et Cécile se trouveront, se confiant l’un à l’autre, permettant au premier de s’ouvrir enfin sincèrement et à la seconde de s’apaiser et d’être mieux comprise. Parvaneh disparaît presque pendant un moment, comme pour lui laisser le temps de faire ses choix. Quant à Léa et Jona, c’est dans la violence qu’iels vivront la fin de cette étape de vie. La force de la mise en scène de Yann Reuzeau est de parvenir à retranscrire les différents états de ces personnages, les visions que chacun et chacune ont de l’autre, et de faire ressentir les mêmes émotions aux spectateur·ice·s. Difficile de mettre véritablement des mots sur cet aspect, tant tout semble passer par les tripes.

Et alors que la scène finale, un an après les premiers événements, permet de faire le point sur la situation de chacun·e, on se rend compte que tout ce qui était prévu a finalement pris une tournure tout à fait inattendue, pour le meilleur comme pour le pire. Alors, on repense à notre propre histoire, et on se dit que, même si on avait De l’ambition, il nous faut accepter que le parcours prévu change, comme nous changeons nous-mêmes de perspective sur le monde.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

De l’ambition, de Yann Reuzeau, du 8 au 19 février 2023 aux Amis musiquethéâtre.

Mise en scène : Yann Reuzeau

Avec Gaia Samakh, Gabriel Valadon, Ines Weinberger, Julian Baudoin et Clara Baumzecer

https://lesamismusiquetheatre.ch/ambition/

Photos : © Xavier Cantat

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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