Les réverbères : arts vivants

Fuir ou devenir comme la fumée

Smoke, la dernière création de Philippe Saire pour le danseur David Zagari, propose un étonnant duo entre un homme et de la fumée. À l’aide d’un dispositif scénique ingénieux, le spectacle nous fait entrer de belles images dans la tête. C’était à voir au Théâtre Sévelin 36.

Sur la scène, on découvre un petit espace exigu encadré par deux parois. Derrière l’une d’elle, côté cour, on distingue plusieurs tuyaux et une étrange machine. On comprend bien vite que cela servira à produire la fumée évoquée par le titre du spectacle. À jardin, on n’aperçoit que quelques lumières, accompagnées d’une musique feutrée, comme sortant d’une boîte de nuit. Deux chaussures sont alors lancées par-dessus la paroi, dans l’espace exigu de la scène. Puis un lapin blanc débarque, passant par-dessus la paroi. David Zagari enlèvera rapidement son costume, pour le déposer dans un coin, et tentera de fuir cet étrange espace. Comme retenu par les lieux, il n’y parviendra pas. Arrive alors la fumée, qui semble entamer un dialogue avec le danseur, prenant sa place ou la lui laissant, alternativement. A-t-il toujours envie de fuir ? Un dilemme s’impose quoiqu’il en soit à lui, alors qu’il cherche une issue.

Des images somptueuses

En début de spectacle, on est immédiatement frappé·e par l’étroitesse de l’espace dédié au jeu, proportionnellement à la taille de la scène. Il est vrai qu’une grande place est prise par le dispositif servant à créer la fumée. Cela n’est pas anodin, dans la mesure où la fumée est une véritable actrice du spectacle, auquel elle donne d’ailleurs son titre. On est impressionné·e par la manière dont elle est maîtrisée, comme par magie. On l’aperçoit successivement en cascade sur la paroi côté cour, plus ou moins opaque pour faire disparaître le danseur, fine comme une main tendue vers lui, lourde et blanche au sol, ou légère et évanescente en quittant la scène par le haut.

Le danseur, quant à lui, évolue au gré des mouvements de son acolyte, quitte à avoir l’air parfois perdu lorsqu’elle disparaît. On retient alors les images, la danse dans cet écran de fumée, au sein de ce petit espace magnifié par les lumières d’Antoine Friderici – indissociables des effets de fumée – et par la création sonore de Stéphane Vecchione. Le tout met en avant l’impressionnante maîtrise technique du danseur. Ses mouvements semblent à la fois fluides et retenus, comme s’il ne pouvait contrôler totalement son corps, l’espace le retenant à chaque fois qu’il tente d’en sortir. C’est comme si les murs étaient aimantés et l’empêchaient de partir. Le magnétisme ambiant se transmet alors à notre regard, qui ne peut se détacher du mouvement qui se dessine sur la scène.

Des symboles forts

On est évidemment surpris d’emblée par l’arrivée de ce lapin blanc sur scène. Immédiatement, on pense à Alice au pays des merveilles. On repense à ce lapin toujours en retard, pressé par le temps et l’urgence, un peu comme nous au quotidien. Alors, quand David Zagari enlève son costume, on se dit qu’il nous invite peut-être à ralentir, à prendre le temps de la réflexion. Les premiers mouvements, qu’il effectue d’abord dans le vide, sont répétés un peu plus tard et prennent une véritable signification, qu’on ne dévoilera bien sûr pas ici. Comme s’il avait justement pris le temps de s’arrêter sur sa situation pour trouver une solution afin de s’en sortir. Bien sûr, il y a cette impossibilité imposée par les lieux qui le retiennent sans cesse. Malgré lui, il doit rester dans cet entre-deux, dans cette forme de dilemme qui s’impose à lui. On se rappelle alors que le lapin est aussi un symbole de recherche d’aventure, qui va de pair avec sa volonté d’explorer un certain ailleurs…

Et puis, il y a bien sûr cette fumée. Pourrait-elle être le symbole d’une addiction, de laquelle le danseur tente de se sortir ? On n’y pense qu’un temps, la signification s’avérant trop terre-à-terre, bien que plausible. On retient alors surtout le côté évanescent de cette fumée qui s’élève, loin des attaches terrestres. Un aspect qui peut aussi faire peur, d’où le dilemme qui semble s’incarner dans notre danseur. Mais cela correspond bien aussi à cette idée d’aventure symbolisée par le lapin. Et si Smoke nous enjoignait simplement à réfléchir à nos limites, au carcan qu’on s’impose parfois, pour tenter d’aller voir au-delà et, pourquoi pas, de tenter l’aventure ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Smoke, conçu par Philippe Saire, du 11 au 22 septembre 2024 au Théâtre Sévelin 36.

Chorégraphie : Philippe Saire, en collaboration avec David Zagari

Avec David Zagari

https://theatresevelin36.ch/fr/agenda/event/2024-2025/smoke

Photos : ©Sévelin 36

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Une réflexion sur “Fuir ou devenir comme la fumée

  • Ispérian Isabelle

    Bonjour, pour vous informer que j’ai adapté le film Fill Monty et qu’on le joue du 1 au 24 novembre à l’ancien théâtre de Veyrier. Vous pouvez ez me contacter au 0793481063.
    Isabelle Ispérian

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