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Futur possible et craint : où est l’espoir ?

« Le végétal s’est adapté. […] En revanche, je ne m’attendais pas à autant d’évolution anachronique de la faune. Comme si, libérée de l’entrave des chaînes que l’homme lui avait passées depuis des millénaires, elle explosait dans une multitude d’aspects, de taille, puisant autant dans le passé que dans une créativité protéiforme. » (p. 192)

Dans un monde postapocalyptique – le nôtre, potentiellement – Catapulte et Guerrier évoluent chacun·e de leur côté, en parallèle. La première a choisi de laisser sa sœur, trop faible, derrière elle, après que leurs parents ne soient jamais revenus. Sachant qu’aucun avenir n’était possible là où elle a grandi, elle est partie explorer le monde en compagnie de Cabosse, son fidèle corbeau, et de sa fronde. L’objectif : atteindre la mer en vue d’une vie meilleure, entre climat favorable et nombre de ressources plus important. De son côté, Guerrier est parti après que Garri, l’intelligence artificielle qui lui avait tout appris, a rendu son dernier souffle, si l’on puit dire. Accompagné de Malabar, un chien avec lequel il partage une partie de son code génétique – entraînant une compréhension mutuelle encore plus grande que celle qu’on connaît – il part lui aussi à l’aventure. Catapulte et Guerrier seront donc amenés à se rencontrer dans ce monde curieux où la nature a repris ses droits et a même commencé à se venger. Difficile, dans ce contexte, de retrouver une communauté humaine à laquelle s’allier…

« Je ne suis pas un spécialiste bien que Garri m’ait abondamment renseigné sur le sexe opposé, par photos de presse anciennes et entrefilets journalistiques. J’ai en tout cas bien compris que tout n’était pas rose entre nos deux sexes bien qu’il fallût bien “coopérer” pour engendrer de nouvelles générations. C’était même plus compliqué que ça puisque certains ne voulaient s’accoupler qu’avec leur propre sexe, voire même en changer. » (p. 126)

C’était avant toute chose… Il était deux fois ne présente rien de véritablement inédit, pourrait-on dire, du point de vue de l’histoire qu’il raconte. Pour peu qu’on apprécie les scénarios postapocalyptiques, très répandus en science-fiction, on semble déjà avoir lu, vu, entendu ce genre d’histoire ; l’originalité réside surtout dans le procédé narratif. Le récit, qui prend deux voies différentes, est pris en charge à deux voix, toujours à la première personne, en alternant la vision de Catapulte et celle de Guerrier. Ainsi, certains événements sont racontés deux fois, avec deux points de vue. Cela donne à l’ensemble un aspect assez complet, qui démontre bien que la vision du monde varie selon l’éducation qu’on a reçue et l’endroit où on a grandi. Ainsi, Guerrier, élevé par une intelligence artificielle, n’a connu aucun contact avec quelque être humain que ce soit, d’aussi loin qu’il s’en souvienne. Il dispose toutefois de grandes connaissances grâce à Garri, ce qui s’avère particulièrement utile dans cette nature hostile. On n’oubliera pas d’évoquer le rapport privilégié qu’il entretient avec son chien, donnant une dimension plus profonde et humaine au personnage, avec qui on entre facilement en empathie. Face à lui, Catapulte a été élevée par sa famille, friande de littérature, et possède un lien étroit avec cette dernière. Pas étonnant, dès lors, que ses chapitres soient émaillés de nombreuses citations d’œuvre célèbres. En plus de cela, elle est extrêmement douée avec les armes de jet comme la fronde ou le lance-pierres, ce qui l’aidera à se sortir de nombre de situations compromises.

« La prédation règne à nouveau sans entraves, mais par seul souci de durer, de perpétuer l’espèce. Retour de bâton, cette meute de chiens sauvages innombrables, insatiables, capables de réduire à néant tout ce qui vit autour d’elle, y compris l’homme. » (p. 175)

Ce roman, qualifié de postapocalyptique sur la quatrième de couverture, pourrait aussi se classer dans le genre de l’anticipation – dans un monde qui se situerait après la chute de nos sociétés, où tout est allé trop loin – tant tout y est poussé à l’extrême. Peut-être se compose-t-il un petit peu de tous ces genres : la nature a repris le dessus, même modifiée par l’homme. On trouve ainsi des animaux hybrides, des meutes de chien ultra-résistantes… Mais le retour de bâton de la Terre vers l’humanité paraît violent, tout en étant très bien amené à travers le point de vue de ceux qui le vivent. La narration n’est donc pas omnisciente, loin s’en faut, et cela nous plonge véritablement dans cet univers.

« Si l’on racontait ce qui était en train de m’arriver à certains de mes ancêtres, seraient-ils intéressés ? Croiraient-ils à cette situation ? Penseraient-ils qu’elle est inventée de toutes pièces ? Imagineraient-ils que leur monde civilisé, d’après eux, ait pu métamorphoser en un territoire sauvage, inhabité, inconnu, définitivement bouleversé ? (p. 38)

Pour autant, C’était avant toute chose… Il était deux fois, demeure empreint d’espoir. Tout le roman de Richard Gauteron se concentre sur la possibilité de reconstruire quelque chose, une communauté, différente de celle qui a mené le monde à sa perte. Il résonne alors comme une invitation à ne pas reproduire les mêmes erreurs, en prônant le respect, l’échange, l’empathie… Le tout en amenant une réflexion, sans être trop moralisateur.

« [Garri] ne pensait pas que ces communautés aient pu résister au chaos mortifère qui a suivi. Sans doute est-ce normal qu’elles réapparaissent après la destruction massive de toutes nos organisations. Encore faut-il que les clans soient assez forts, solidaires, structurés – car la loi de la jungle a repris des droits au dehors – et qu’ils aient suffisamment de jugeotte, de culture et de technicité pour ne pas reproduire les mêmes erreurs passées. » (p. 253)

Fabien Imhof

Référence :

Richard Gauteron, C’était avant toute chose… Il était deux fois, Librinova, 2020, 261p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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