Gnocchi : au cœur de l’héritage familial
Aux Scènes du Grütli, une quinzaine de personnes se rend chaque soir dans l’appartement de Paola Pagani, pour y rencontrer Ornella puis Renato Galli, et y déguster l’étonnant et intime Gnocchi. Un moment de douceur et de partage, autour de la transmission.
« Vous êtes déjà installés ? Vous avez bien fait ! » C’est avec ces mots qu’Ornella Galli (Paola Pagani) nous accueille, alors que nous sommes assis·es, sur deux rangées, dans sa cuisine. Les casseroles frémissent, l’une remplie de patates – I patati, comme on dit dans son village d’origine – l’autre d’eau, en vue de la préparation des gnocchis. Pendant un peu plus d’une demi-heure, elle cuisine devant nous, narrant comment elle a appris en regardant sa mère faire. Elle nous raconte son enfance au village, comment elle a appris l’italien avec sa tante qui était bonne sœur, sa cousine Piera qu’elle déteste, son arrivée à Genève, son amour pour son fils Renato, devenu réalisateur de documentaires au Mexique… et de conclure avec cette histoire que lui racontait son père, où un condamné à mort a été sauvé grâce à des gnocchis ! Elle nous invite ensuite à passer au salon pour la dégustation. Le changement de pièce induit, attention spoiler, un saut dans le temps : Renato nous y retrouve, pour vider l’appartement de sa mère récemment décédée, et que nous avons bien connue. Au fil des tiroirs qui se vident, les anecdotes s’enchaînent aussi : son premier appareil photo, sa maman qui montrait les dents de lait de son fils à toutes ses copines, sa collection de timbres d’Espagne, l’affiliation d’Ornella à toutes les œuvres caritatives… C’est avec une infinie tendresse dans les yeux qu’il partage avec nous gnocchis, amaretto et souvenirs.
Entrée dans l’intimité familiale
Le choix du dispositif, dans un appartement plutôt qu’une scène de théâtre, permet au Teatro due punti, le nom de la compagnie, de créer un rapport totalement différent au public. Ici, pas de quatrième mur. Dans les 9m2 de la cuisine – le salon, un peu plus en longueur, n’est guère plus grand – nous nous retrouvons dans une proximité rare avec la comédienne. Si bien qu’on n’a plus l’impression d’être au théâtre. On entre véritablement dans ce lieu qui lui appartient, et on pense à nos mères, nos grands-mères, qui y passaient des heures, juste pour le plaisir de partager un repas en famille ou entre amis. Car la cuisine, c’est avant tout une histoire de partage et de transmission.
De transmission, il en est bien question ici. Il y a, d’abord, nous l’avons évoqué, toutes ces histoires et anecdotes qu’elle nous raconte. Mais il y a aussi, et surtout, cet héritage familial matérialisé par les gnocchis : une recette toute simple, qui nécessite seulement des patates, de la farine et du sel, ainsi qu’une délicate sauce tomate pour accompagner. Rassurez-vous, pour cela aussi, Ornella nous donne ses petites astuces ! Une recette toute simple, donc, mais qui en dit en fait beaucoup plus, sur la manière dont elle observait, admirative, sa maman, apprenant ses gestes malgré elle pour les reproduire plus tard. La cuisine, donc, permet ce lien, et on y retrouve tout ce qui la compose : partage, plaisir, transmission, amour… la vie en somme ! De transmission, il en est encore question à l’arrivée de Renato, qui nous dit tenir la recette de gnocchis de sa mère, bien qu’il ne les réussisse pas aussi bien qu’elle. Le ton est donné : dans la seconde partie du spectacle, il y aura de l’humour, mais aussi et surtout, une tendresse infinie, dans l’intimité de cette famille.
Changement de regard
Dans la cuisine, Ornella nous raconte comment elle a appris de sa mère, bien sûr, mais le personnage central de son récit n’est autre que son fils, Renato, dont elle est particulièrement fière. Ça, bien sûr, elle ne le dira jamais, mais tous ses propos le sous-entendent. La seconde partie du spectacle, dans le salon, agit dès lors comme un miroir, avec cette fois-ci le regard du fils porté sur sa mère. Et on n’est pas étonné·e de voir que la fierté est partagée. Ne pouvant s’empêcher de rire de certaines anecdotes – la crédulité de sa mère, qui signait des promesses de don pour chaque association caritative ; les kilos de bonbon à la menthe qu’elle ramenait à chaque séjour en Italie ; le nombre impressionnant de paires de lunettes qu’elle conservait… – il propose un autre regard sur la transmission. Et à travers ce qu’il raconte, on comprend toutes les valeurs qu’elle lui a transmises.
L’amour d’une mère pour son fils, qui transparaissait dans la cuisine, est désormais réciproquement narré, dans le salon. Antonio Buil parvient, comme Paola Pagani, à jouer avec une touchante sincérité. Les yeux embués, la gorge nouée, il peine par moments à sortir les mots, sous le coup de l’émotion. Et on y croit vraiment ! On est avec lui, on observe les photos qu’il nous fait passer, on trinque à coups d’amaretto à la mémoire d’Ornella. Mais surtout, on écoute religieusement tout ce qu’il raconte. C’est comme si on avait véritablement connu sa mère – plus que le temps de la préparation des gnocchis, je veux dire – et qu’il était heureux de partager ce moment avec nous. Une joie que nous ressentons aussi, de se remémorer ces jolis souvenirs. Le public interagit d’ailleurs régulièrement, riant ou commentant certains objets, observant en détails les photos pour y retrouver des lieux connus. Bref, tout est réuni pour un joli moment de théâtre, où douceur, partage et transmission sont les maîtres-mots. On en redemande.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Gnocchi, par le Teatro Due Punti, aux Scènes du Grütli (en appartement), du 6 au 11 mai 2025.
Conception : Paola Pagani
Écriture collective et jeu : Antonio Buil et Paola Pagani
Collaboration à la mise en scène et costumes : Barbara Schlittler
Vidéos et photos : Erika Irmler
Administration : Léonore Friedli
Production : Teatro Due Punti
Coproduction : Les Scènes du Grütli
https://grutli.ch/spectacle/gnocchi-a-plainpalais
Photos : ©Magali Dougados