Hasta la victoria siempre
Sur fond de réunion de famille qui part en vrille, retrouvez le jouissif « Un discours ! Un discours ! Un discours ! » à la Parfumerie jusqu’au 27 mars. Un mélange détonnant de théâtre, danse et vidéo qui redonne vie et sens à quelques discours emblématiques qui ont marqué l’histoire.
L’autre soir, en sortant de la salle magique de la Parf’, un ado parle à son père :
- Tu sais, Papa, je crois que c’est le meilleur spectacle que j’ai vu de ma vie. Je sais pas si j’ai tout compris, mais j’ai adoré.
- Ha ? D’accord. Tu t’es pris une petite baffe alors, c’est ça ?
- Oui, tout était vraiment top : les chorégraphies (t’as vu comme ils dansent le rock ?), les acteurs (le frisé qui rocke-rappe sur Camus, il est incroyable), l’énergie de la troupe (ils ont l’air d’une vraie famille), les décors (j’avais jamais vu un sol blanc au théâtre), le fond du truc (on se prend ces flashs d’histoire et ça donne envie d’en savoir plus), la forme (c’est génial ce mélange entre danse, vidéo, sons et théâtre), l’humour (avec le côté absurde trop assumé), la gravité (comment l’homme peut-être à la fois si débile et si beau), les lumières (t’as vu, Michel, comme il est Faure ?), …
- Ouais, t’as remarqué au début les petits rais lumineux à travers les lattes de la table ?
- Toi, tu vois de ces trucs… J’ai surtout kiffé les discours, moi. C’était fluide, compréhensible…
- T’as compris pourquoi y’a une « happy family » réunie sur la scène ?
- Pour moi, la famille, c’est comme la vie, c’est la première société…
- Et la première dictature aussi…
- Ouais, le père, c’est Poutine (l’époustouflant Christian Scheidt).
- Ou n’importe quel dictateur…
- C’est fort aussi tous ces portraits projetés en vidéo. Y sont tous mélangés, les cool et les salauds…
- Y sont bien barrés dans cette famille, quand même, tu trouves pas ?
- Chacun a un rôle et défend un truc, t’as vu ?
- Qu’est-ce que t’as compris ?
- Bein, y’a le fils-fayot préféré (le formidable Antoine Courvoisier), la fille qui cache son avortement (la berlinoise Clea Eden), le fils moins aimé qui se libère pour se marier (le rayonnant Bastien Blanchard), le meilleur ami écrasé par la puissance du père (le délicat Francesco Cesalli), la belle-mère fanatique des flingues (la tonique Maud Fauchère), la femme du meilleur ami du père qui décide d’arrêter de parler (la walsérienne Céline Goormagtich) et la belle-fille dans l’ombre (la gracieuse Verena Lopes)
- Et ça veut dire quoi les armes dans la pièce pour toi ?
- C’est le lien entre cette famille de tarés et la violence du monde. Les armes, c’est un cadeau empoisonné. D’ailleurs, pour moi, la scène de l’anniversaire, elle montre ça… C’est génial quand ils nous expliquent les quatre trucs pour écrire un parfait discours nationaliste… On comprend mieux les rouages…
- T’as reconnu tous les discours ?
- Je connaissais pas Jean Ziegler. Il a l’air cool, le mec. Y fait quoi dans la vie ?
- Heu… En deux mots c’est un homme politique bien à gauche, anticapitaliste, un militant pour les droits de l’homme. Il a rencontré le Che, a écrit plein de bouquins pour dénoncer l’hypocrisie des puissants, la faim dans le monde…
- En tout cas, ça donne envie de lire. Et Taubira… trop bien… Dommage qu’elle a abandonné la campagne…
- T’as vu ? Y a beaucoup plus d’hommes que de femmes qui font des discours…
- Y’a aussi Simone Veil… Ça veut dire qu’en 1974, on pouvait pas avorter en France ?
- C’est ça. Et jusqu’en 81, y’avait la peine de mort… Badinter, tu connais ?
- Non… Je me demande comment ils ont choisi les discours du spectacle…
- Ils auraient pu mettre plus de femmes : Angela Davis, Wangari Maathai, Hannah Arendt…
- Et la journaliste tchétchène assassinée, comment elle s’appelle déjà ?
- Anna Politkovskaïa. C’est vrai, y’avait elle aussi.
- En tout cas, ça donne envie de connaître les combats de ces gens. C’était qui la voix au début ?
- Je sais pas.[1] Un gars qui reçoit un prix et qui perd un peu de sa superbe quand il doit parler…
- Et le vieux monsieur qui disait qu’avant on savait mieux qui c’était les méchants ?
- Stéphane Hessel. Un survivant des camps, militant pour les droits de l’homme. Il a écrit un petit bouquin génial. Ça s’appelle « Indignez-vous ! »
- Tu l’as à la maison ? Je vais le lire. Et Thomas Sankara ?
- Un socialiste révolutionnaire qui voulait une Afrique plus démocratique. Il s’est fait flinguer…
- Par un des dictateurs qu’on voit sur les images ?
- Pas directement mais c’est l’idée, oui…
- C’est vachement bien fait toutes ces vidéos. J’ai reconnu Trump, Mussolini, Franco, … Et y’a le gars de la Biélorussie. Pis celui de la Syrie. Et l’autre de Turquie…
- Rien que des braves gens…
- C’est ça. Mais y’en a, je connais pas leurs noms…
- Pas grave, ils en valent peut-être pas la peine… Et comment t’as compris qu’il y a aussi Le Pen dans cette galerie de fous ?
- Pour moi, ça veut dire qu’elle est aux portes du pouvoir. Et qu’il faut faire gaffe à ce qu’on va voter.
- Je t’aime, mon fils.
- T’as vu, en plus, ils font une représentation spéciale pour l’Ukraine…
- Oui, c’est bien. D’ailleurs, faudra aussi qu’on parle des réfugiés ukrainiens. Comment on va aider ? Est-ce qu’on va s’engager pour en accueillir à la maison ?
- En fait, c’est la suite du spectacle : les conséquences de certains discours dans la vie réelle, les délires des fous qui sont au pouvoir…
- Bien vu. C’est Shakespeare qui dit que le monde entier est un théâtre…
- Faut bien choisir son rôle, alors… Dans la pièce, on nous montre ceux qui ne pensent qu’à eux et qui sont capables de zigouiller les autres – comme le père. Et tu vois, même quand il va flinguer Hitler, on remplace un dictateur par un autre cinglé… On nous montre la connerie de l’homme en fait. L’homme qui se prend pour Dieu quand on lui met une arme dans la main. Tu sais qu’un Américain sur deux a une arme à feu chez lui ? C’est souvent les mêmes qui votent très à droite, non ? Ça fait quand même du monde, hein ? Heureusement qu’en face y’a des De Gaulle, Kennedy, Martin Luther King, Chaplin, …
- Tu serais pas en train de nous faire un petit discours, là, du haut de tes 16 ans ? En tout cas, c’est cool de t’entendre.
- Ça permet d’y croire quand même…
- C’est pas d’espoir qu’on a besoin, c’est de tendresse et de force. Allez, viens, mon fils, on va manger chez les Corses…[2]
Stéphane Michaud
Infos pratiques :
Un discours ! Un discours ! Un disours ! d’Evelyne Castellino du 15 au 27 mars au Théâtre de la Parfumerie
Mise en scène et chorégraphie : Evelyne Castellino et les interprètes
Avec Bastien Blanchard, Francesco Cesalli, Antoine Courvoisier, Cléa Eden, Maud Faucherre, Céline Goormaghtigh, Verena Lopes et Christian Scheidt
Photos : © 100% Acrylique
[1] Patrick Modiano quand il reçoit son prix Nobel
[2] Chez les Corses, chanson de Bénabar et Renaud