Huis-clos d’amour filial au Théâtricul
Dans Plantamour – du nom de l’EMS où vit sa mère – David Valère, accompagné de Safi Martin Yé, propose un « hommage théâtral à une mère singulière[1] ». Céline Goormaghtigh y met en scène la relation complexe d’un fils à sa mère. À voir jusqu’au 16 février.
Tout commence le soir des seize ans du jeune homme : après un repas de fruits de mer chez Lipp, il se rend au Keur Samba avec sa mère. Le Keur Samba, c’est LA boîte de nuit africaine de la Françafrique à Paris dans les années Mitterrand. C’est la première fois qu’il va en boîte, et qui plus est avec sa mère. Loin de l’appréhension qu’il pouvait avoir, il y découvre une femme épanouie, qui connaît tout le monde et met le feu à la piste de danse. On le comprend d’emblée : voilà une femme pas comme les autres ! S’ensuit un saut dans le temps, où l’homme devenu adulte – les noms ne sont presque jamais évoqués – rend visite à sa mère en maison de repos, toujours avec une bouteille de champagne et des roses pour son anniversaire. Les discussions évoquent des souvenirs, dont on ne sait trop s’ils sont réels ou inventés. Tout cela raconte la relation complexe entre les deux, et le passé de cette femme affirmée qui a transmis à son fils l’envie de vivre.
Dans un huis clos
Sur la scène, on ne retrouve que David Valère et Safi Martin Yé. Si la mère et son fils sont au centre de l’action, les deux acteur·ice·s interprètent, lorsque la situation le demande, les autres personnages mentionnés : le videur de la boîte, le patron, un serveur au restaurant… À bien y réfléchir, ce sont surtout les rôles masculins qui sont montrés, Safi Martin Yé restant constamment dans le rôle de la mère. Une manière de nous dire que c’est elle le personnage principal de cette histoire. Et dire qu’au départ, elle ne devait même pas être sur scène ! David Valère avait en effet imaginé ce texte comme un one-man-show, puis comme un monologue théâtral, avant que la présence de Safi Martin Yé sur scène ne sonne comme une évidence. Et on ne peut que louer cette décision, tant elle donne à cette mère unique toute la dimension théâtrale qu’elle mérite !
Les deux protagonistes occupent donc toujours le même espace scénique, créé par Célia Zanghi : un intérieur plutôt chic, avec des murs bleus élégants, et une moquette au sol. Les lumières imaginées par Loic Rivoalan et Loane Ruga permettent de figurer les différents lieux évoqués : la brasserie Lipp, la chambre de la mère, la boîte de nuit, la maison d’enfance… Surtout, ce décor dit beaucoup de choses du propos de la pièce et de la vie de la mère : dans ce qu’on peut percevoir comme une forme d’enfermement en huis clos, une porte demeure toujours entrouverte. C’est par ce biais que cette femme sort constamment sa condition, la dépassant au gré de ses envies. « C’est la trajectoire d’une mère singulière qui apprendra à son fils à ne pas avoir honte, à ne jamais reculer et à savoir ouvrir toutes les portes », nous dit le flyer. On n’aurait pas mieux dit de ce personnage inspirant, quoique parfois désagréable avec son fils, mais montre une image tellement affirmée qu’on ne peut qu’être admiratif·ve.
Entre réalité et vie rêvée
Le texte de David Valère résonne donc comme un hommage à sa mère, dans une forme d’autofiction, si on peut l’appeler ainsi. Beaucoup d’événements y sont racontés, sans qu’on sache toujours s’ils sont vrais ou inventés – dans l’histoire de cette mère fictive comme dans celle qui l’a inspirée, d’ailleurs ! On se trouve toujours sur le fil entre les deux, ce qui nous rappelle cette citation de Philippe Delerm, en préambule de son ouvrage intitulé Le bonheur : « Le bonheur est fragile. Tu n’es pas funambule et tu avances pas à pas. Tu ne sais rien des jours, tu glisses sur un fil, au loin tu ne vois pas. […] Tu risques à chaque pas, tu avances docile. À chaque risque le bonheur est là. Tu avances vers toi ; le bout du fil n’existe pas. » Voilà qui illustre bien toute l’ambiguïté de cette mère, pour qui rien n’est impossible : la pièce évoque ses nombreux amants, sa lutte pour les droits des noirs et des femmes, sa rencontre avec Angela Davis devenue une sœur, sa relation à la famille royale d’Angleterre. Quand on vous disait qu’il est difficile de démêler le vrai du faux…
Alors oui, elle raconte des « mensonges » pour avoir ce qu’elle souhaite. En témoigne cette anecdote du restaurant de luxe, où elle prétend avoir réservé une table alors qu’il n’en est rien, et finit par l’obtenir, grâce à son aplomb. Tout le monde finit par croire à ce qu’elle dit. Mais n’y voyez pas ici de la mythomanie ou une forme malveillante de manipulation. Elle est toujours consciente de ce qu’elle dit et fait, et veille bien à ne jamais faire de mal aux autres. Comme si elle reprenait ce dont elle avait été privée de manière arbitraire.
Le jeu, dans Plantamour, s’illustre par une forme de sincérité. La direction d’acteur·ice·s de Céline Goormaghtigh fonctionne à merveille de ce point de vue. Les mouvements sont ceux qu’on pourrait retrouver de la part d’une mère en maison de repos et d’un fils qui la visite, sans superflu, et avec la flamboyance qu’ils méritent lors des scènes de souvenirs. La feuille de salle cite Robert Filliou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » On pourrait ajouter – et je me demande d’ailleurs si ce n’est pas David Valère qui a prononcé cette phrase, ou quelque chose dans le genre, un jour – que le théâtre, c’est avoir l’air sérieux sans se prendre au sérieux. C’est ce que j’ai ressenti en assistant à Plantamour.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Plantamour, de David Valère, au Théâtricul du 1er au 16 février 2024.
Mise en scène : Céline Goormaghtigh
Avec Safi Martin Yé et David Valère
https://theatricul.net/13721-2/
Photos : © Jörg Brockmann
[1] Citation issue de la feuille de salle.