Pourquoi écrivez-vous ? : Amaryllis Bosson
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Aujourd’hui, c’est Amaryllis Bosson qui prend la plume. Elle répond à une question qui, si elle semble anodine aux premiers abords, n’en est pas moins complexe : pourquoi écrivez-vous ? Sa réponse, sous forme brève puis longue, la voisi. Bonne lecture !
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Pourquoi écrivez-vous ?
Aucune idée, mais si j’en ai une, je l’écrirai.
La puissance des mots
Le mantra de mon enfance se résumait à ces mots : avoir peur de rien. En ces quatre termes résidait le programme éducatif que je m’étais moi-même fixé, le projet d’une vie. Mes premiers cours commencèrent de la manière suivante : je devins amie avec la fille la plus téméraire de mon école et me promis de la suivre dans toutes les extravagances qu’elle entreprendrait. Elle incarnait l’angoisse de tout professeur d’école, elle n’avait aucune limite. Faire classe avec elle fut terriblement instructif : effectivement, je n’avais peur de rien. Aussi, mon projet didactique suivait son cours sans accroc.
Cependant, à l’âge de cinq ans, je n’avais pas prévu que ce programme, aussi précis soit-il, présentait une faille interne aux effets pernicieux. Cette brèche résidait très précisément dans la faute de grammaire inhérente à cette maxime directrice. Vous l’aurez sans doute remarqué, on ne dit pas : « avoir peur de rien », mais : « n’avoir peur de rien ». En un sens, le rien est une négation suprême, la négation de tout. Et toute négation, surtout s’il s’agit de la plus extrême, se doit d’être précédée de son fervent auxiliaire de vie, annonciateur invétéré de son entrée magistrale : le « ne ». Or le « ne » est doté d’un pouvoir d’évocation considérable, celui de conférer au « pas », au « rien », ou encore à « aucun », leur essence de négation : leur sens négatif. Sans lui, le « pas », le « rien » et l’ « aucun » se transforment en des compléments de verbes dénués de signification, en des objets mystiques, en des monstres d’incompréhension. Par exemple, « je mange pas » signifie « je mange le pas ». Cela est absurde et il ne faut jamais sous-estimer l’influence de l’absurde, puisque la puissance évocatrice des mots, même dans l’absurdité, est incommensurable.
Aussi, bien qu’initialement je n’avais peur de rien, je me mis, conformément à mon mantra, à avoir peur de rien. Comble de l’absurde, en ayant peur de rien, je n’avais donc plus peur de rien… Je me mis alors à craindre le vide, le néant, l’infini, le silence, l’absence de lumière et l’inexistence. C’est ainsi que la transgression de mon programme éducationnel naquit d’une bête erreur grammaticale. Ajoutez à cela que les atomes sont composés à 99,9 pour cent de vide. Le calcul est simple, j’ai donc peur de 99,9 pour cent de l’univers. Autant dire que j’ai peur de presque tout, ma témérité ne s’exerçant alors que sur un piètre millième de la réalité.
Cela explique pourquoi cette page et toutes les autres qui sont tombées entre mes mains ne sont pas restées blanches, ne sont pas restées vides. Il s’agit d’une ultime tentative de réification de ce que j’ai voulu dire originellement dans mon projet pédagogique et d’un dépassement des effets collatéraux de ce que j’ai effectivement dit, soit d’un effort suprême de n’avoir peur de rien, de surpasser le vide, le néant, l’indicible. Cela n’explique pas entièrement pourquoi j’écris, mais cela explique pourquoi j’ai écrit et sans doute pourquoi j’écrirai.
Amaryllis Bosson
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Photo : © steve_a_johnson