I care a lot : se tromper de proie se paie rubis sur l’ongle
Tutrice légale de personnes jugées inaptes à s’occuper d’elles-mêmes, Marla Grayson fait son beurre sur le dos de ses pupilles en les plaçant à l’hospice avant de les dépouiller de leurs économies. Pensant faire le coup du siècle en mettant une septuagénaire aisée sous sa tutelle, Marla ne pouvait pourtant pas se tromper davantage de cible. Sous des airs de thriller, J Blakeson livre avec I care a lot une savoureuse comédie noire qui ravira les amateurs du genre.
Difficile de trouver titre plus ironique que « I care a lot », la vocation sociale de Marla Grayson (Rosamund Pike) n’étant qu’une grossière mascarade. Amorale et cupide, Marla n’a qu’un seul objectif : gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Sa cible ? Les personnes âgées et vulnérables. Son carré blond parfait, ses tailleurs épurés et son sourire faussement compatissant ne trompent personne, sauf le juge qui continue de lui confier des pupilles.
Jennifer Peterson (Dianne Wiest) est en apparence la victime idéale. Riche, célibataire et sans famille, elle est la « vache à lait » que Marla compte bien soulager de ses économies. Mais auparavant il faut trouver un moyen de l’expédier en maison de retraite. Jennifer n’a pas de pépin de santé ? Qu’importe, Marla lui en inventera. De concert avec une médecin corruptible et un directeur de maison de retraite sans scrupule, elle parvient à faire interner Jennifer. Sitôt fait, elle met sa maison en vente et ponctionne ses comptes bancaires. Mais voilà que Jennifer n’est pas exactement la dame âgée docile que Marla imaginait. Elle peut au contraire compter sur le soutien d’un large réseau, emmené par Roman Lunyov (Peter Dinklage), aussi retors que Marla et qui lui mènera une guerre sans merci pour récupérer sa protégée.
Le personnage qu’on adore détester
Rosamund Pike jouait déjà une manipulatrice dans Gone Girl (David Fincher, 2014), mais loin de son personnage fouillé pour qui on oscillait entre empathie et aversion, c’est à une méchante pur jus qu’on a affaire dans I care a lot. Elle est l’anti-héroïne ultime qu’on ne saurait que détester. Son personnage reposant intégralement sur sa perfidie est si manichéen qu’il la prive d’une quelconque profondeur. On ne saura d’ailleurs rien sur ce qui a amené Marla à devenir aussi cynique. Et ce n’est pas l’histoire d’amour qu’elle entretient avec sa partenaire, Fran (Eiza González) qui amadouera le spectateur. Impossible donc de lui trouver des circonstances atténuantes qui la rendraient sinon sympathique, du moins humaine. Mais ce défaut de nuances dans le caractère de Marla semble émaner d’une volonté du réalisateur. En choisissant de forcer le trait avec un personnage aussi burlesque et taillé au couteau, Blakeson permet de susciter une réaction de révolte chez le spectateur, car celui-ci désire sa chute bien plus que si Marla était dotée d’un fond de gentillesse. Elle est de ces personnages qui, de façon quasiment cathartique, permettent au spectateur en mal de justice de se venger par procuration des dérives d’un système pourri. Car derrière le ressort comique caricatural utilisé par le réalisateur, celui-ci adresse une violente critique à un système corrompu où l’appât du gain est un art de vivre et où chacun tient à sa part du bifteck. Un thème qui n’a rien de nouveau mais qui prend une résonance encore plus sordide lorsqu’il vise les acteurs du système de santé.
Seconds couteaux à la hauteur
En dehors de la performance de Rosamund Pike, récompensée par un Golden Globe, le film peut s’enorgueillir de la présence d’excellents rôles secondaires, tous aussi amoraux les uns que les autres, en particulier Peter Dinklage en chef mafieux. A l’inverse de son personnage de Tyrion Lannister dans la série Game of Thrones, sa petite taille n’est pas un sujet de moquerie. Au contraire, Blakeson prend le contre-pied en en faisant un chef craint par ses grands et robustes hommes de main. Mentionnons aussi Chris Messina, qui incarne à merveille Dean, un avocat dont le luxe qu’il affiche de façon ostentatoire est tout bonnement détestable. On lui doit une des meilleures scènes du film dans laquelle il se livre à une joute verbale avec Marla pour tenter de l’amadouer avant de l’intimider. Il rappellera probablement l’avocat Saul Goodman (Bob Odenkirk), aux aficionados de la série Breaking Bad, pour les méthodes à l’éthique douteuse dont il use sans rougir. Quant à Jennifer, la victime autour de qui tout le monde s’agite, elle est rare à l’écran, probablement parce qu’elle est moins sournoise que les autres. Il n’y a pas de place pour les gentils dans l’arène de Blakeson.
Côté réalisation, le choix des plans en fait un film esthétique avec un rythme admirablement maîtrisé pour une pellicule frôlant les deux heures. Le dernier tiers menace de tirer en longueur mais il est riche en rebondissements et une bande originale électrique, signée Marc Canham maintient le film dans un flux dynamique en permanence.
Les costumes, enfin, ajoutent considérablement au comique du film. Imaginés par la créatrice Deborah Newhall, ils sont dans la même veine caricaturale que les personnages eux-mêmes. C’est notamment le cas des costumes de l’avocat dont l’accoutrement se situe quelque part entre le clinquant et le kitsch.
On l’aura compris le film s’adresse avant tout aux spectateurs friands d’humour noir et las du politiquement correct. À l’opposé du film plein de bons sentiments, il pique, et pas qu’un peu. Il illustre parfaitement le concept de l’arroseur arrosé, avec des personnages survoltés se livrant à une vendetta de tous les diables. D’avantage qu’un thriller, il s’agit d’une comédie qui, loin de se la jouer intello, tourne en dérision le mythe du rêve américain.
Valentine Matter
Référence :
I care a lot, de J Blakeson, avec Rosamund Pike, Peter Dinklage, Dianne Wiest, Chris Messina…118 min (sortie en salles le 12 mai 2021)
Photos :
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