La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 24

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 24 : Traître d’apprenti !

Rue Basse – dans les murs de Genève

Le 2 décembre 1602, en fin de journée.

Dans son atelier obscurci par cette fin d’après-midi d’hiver, Maître Serin était seul.

Plus tôt, il avait renvoyé chez lui son jeune apprenti, Thibault Vogel. Le garçon avait travaillé, très bien travaillé – avec un zèle et une précision qui trahissaient la passion du métier. Thibault méritait de se reposer un peu les yeux, d’aller courir les rues avec ses amis, de conter fleurette à Marie Favre, sa fiancée… ou de faire ce que font les jeunes gens pour oublier que des nuages sombres s’avancent et menacent leur existence tranquille.

Maître Serin aimait beaucoup Thibault : il voyait en lui un excellent apprenti mais, plus encore, un garçon sur lequel on pouvait compter – un homme en devenir, à l’âme droite et juste. Il n’était pas sans ignorer que la famille du garçon (d’une lointaine ascendance germanique) avait fui la Savoie avec très peu d’argent : avant d’accepter Thibault en apprentissage, il avait rencontré le père, Jean Vogel, pour s’assurer du sérieux du fils. Il n’avait pas été déçu : Vogel père avait du Huguenot la constance et la dévotion, la sévérité et la rigueur. Maître Serin avait été rassuré. Néanmoins, il savait aussi que son apprenti appréhendait ses noces prochaines avec Marie Favre : les Favre étaient des notables influents et la donzelle, habituée à l’abondance… Or, le peu d’argent que Thibault avait à sa disposition (malgré la dot que sa belle allait apporter avec elle) angoissait le jeune homme. Aussi Maître Serin s’était-il promis de faire un beau présent à son apprenti, comme cadeau de mariage – une montre, un écrin orné… ou les deux, pourquoi pas ?

Oui, se disait-il en frottant délicatement le chiffon qu’il tenait sur le bois verni, Thibault mérite ce qu’il y a de mieux.

Maître Serin reposa le chiffon et admira son œuvre. La boîte à secret était enfin achevée. Les pierres semi-précieuses rutilaient, incrustées dans la marqueterie. Sur le couvercle, comme de juste, se nichait un symbole délicat, minutieusement façonné dans un éclat d’ébène. Un aigle et une clef. Le symbole de l’Ordre.

La cloche de l’entrée tinta. Ça devait être son client.

« Reste assis, Matthieu », lança la voix familière.

Dans l’entrée, époussetant sa cape où s’accrochaient quelques flocons de neige, Étienne Piaget souriait dans sa grande barbe. Matthieu Serin lui adressa un signe chaleureux pour qu’il prenne place, et Étienne Piaget s’installa sur un tabouret, près de l’établi.

« C’est la boîte à secret ? Tu as fait du beau travail, Matthieu. »

Lorsqu’ils étaient seuls, le tutoiement était de mise : les sœurs et les frères de l’Ordre étaient tous égaux devant Dieu. Maître Serin poussa la boîte vers Maître Piaget :

« Comme tu me l’avais demandée. Assez grande pour contenir des documents et archives. »

« Elle est parfaite », approuva Piaget en examinant la boîte d’un œil expert. « L’Ordre y rangera ses symboles les plus précieux. Et là… » ajouta-t-il en se penchant sur le couvercle, pour découvrir… « ah… je vois – l’aigle et la clef. »

Piaget resta un moment silencieux, tout comme Serin. Dehors, la neige tombait plus drue et la nuit s’avançait comme une voyageuse solitaire. Finalement, Serin demanda :

« As-tu pu en rallier d’autres à notre cause ? »

Étienne Piaget acquiesça d’un signe de tête :

« Plusieurs, oui – avec le duc Charles-Emmanuel qui prend de plus en plus de libertés à nos frontières, tout le monde a peur. La Savoie n’est plus un simple voisin… elle pourrait devenir une menace. Ce n’est peut-être rien, mais nombreux sont ceux, dans la Cité, qui commencent à craindre… »

Matthieu Serin fronça les sourcils : « Attention, l’Ordre doit rester secret… il ne faut rien ébruiter. Si le duc l’apprenait… »

Piaget eut un geste apaisant : « J’y ai pensé, ne t’inquiète pas. Si nous voulons protéger Genève, nous devons agir sans créer d’esclandres, en dehors des canaux officiels – sans nous faire remarquer des Savoyards… ou des magistrats de la Cité, qui pourraient nous mettre des bâtons dans les roues. Les vieux notables ne comprendraient pas. Ce qui compte, c’est avant tout d’aider le peuple. »

« À qui as-tu parlé, Étienne ? Qui est d’accord d’être avec nous ? »

Et la neige continua de tomber, tandis que Maître Étienne Piaget exposait à son confrère le compte-rendu de ses discrètes démarches. La création d’un Ordre de protection n’était pas une mince affaire – surtout si l’on entendait que cet Ordre agisse hors du contrôle officiel des magistrats, comme un réseau d’espions et d’informateurs capables de protéger et de soutenir les intérêts de la Cité en dehors de l’enceinte genevoise. Il avait fallu à Piaget et Serin plusieurs mois pour mettre sur pieds leur idée… et à présent, l’Ordre s’apprêtait à naître, pour le bien de Genève.

« … j’ai aussi demandé à Royaume », acheva Piaget.

« Royaume ? Mais c’est une chiffe-molle ! »

 « Non, pas lui ! Sa femme. Elle marche avec nous. »

« Diantre ! Catherine Royaume… on peut dire qu’elle a du courage, en tout cas ! Et on dit que sa soupe aux légumes est excellente ! »

Étienne Piaget éclata de rire : la soirée était bien entamée et les estomacs se faisaient peu à peu sentir.

« Tu pourras toujours lui demander de te faire goûter sa soupe la première fois que l’Ordre se réunira. J’ai hâte d’ouvrir officiellement la première assemblée… au fait, as-tu pensé au bijou que je t’ai commandé ? »

Maître Serin opina du chef, attrapant la citrine qu’il avait déposée avec précaution sur son établi : « Pas encore, Étienne – mais j’y réfléchis. Un bijou qui siéra à une femme… ou un homme… »

« Un bijou qui symbolisera l’Ordre », ajouta Maître Piaget, « un bijou que seul son Grand Maître portera. »

*

Quelque part dans la campagne, en dehors de Genève

Le 2 décembre 1602, en milieu de nuit.

Thibault Vogel chevauchait, ventre à terre.

C’était une chance que les amis du duc de Savoie soient si nombreux, par ici : sans eux, il n’aurait jamais pu se procurer un cheval. La nuit était profonde, glacée, et la neige qui tombait en tourbillons n’arrangeait rien. Les ornières n’en devenaient que plus traîtresses, les sentiers plus glissants. Malgré l’épaisseur de sa cape de laine, Thibault claquait des dents.

Une pensée, néanmoins, le réchauffait : la certitude qu’après cette nuit, jamais, plus jamais, il ne serait pauvre. Marie aura la vie dont elle rêve, et nous ne manquerons de rien ! songea le jeune homme, enthousiaste malgré le danger. Il n’aurait plus besoin de quémander un sou à son Huguenot de père, plus besoin de s’échiner sous les ordres de Maître Serin – non, il aurait tellement d’argent qu’il rachèterait la boutique de son Maître, pour la diriger lui-même ! Serin avait de l’expérience, mais manquait d’ambition. Thibault, lui, n’en était nullement dépourvu.

Il allait être riche. Le duc avait promis.

Contre lui, il serrait les précieux documents, bien roulés dans un étui de cuir. Ça n’avait pas été difficile de les dérober dans le bureau du vieux Favre, pendant que le père et la mère s’extasiaient devant les rubans achetés par Marie pour les noces. Thibault ne s’était absenté qu’une minute, prétextant aller assouvir un besoin naturel… et ça avait été suffisant pour se glisser dans la petite pièce d’étude où Favre rangeait ses papiers.

À présent, ne restait plus qu’à les apporter à bon port. Dans quelques jours, Genève serait aux mains des Savoyards – et Thibault, riche comme Crésus. Il voyait déjà le sourire de Marie.

Et il fendait la nuit, bride abattue, pour porter au duc Charles-Emmanuel de Savoie les plans des remparts, ainsi que de toutes les défenses de la Cité…

Magali Bossi

La suite, c’est par ICI !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Tu n’as pas froid aux yeux et tu veux nous rejoindre ? N’hésite pas à nous envoyer un petit mot et toutes les informations pour ta prochaine enquête littéraire suivront…

Photo : © flo222

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

Une réflexion sur “Et la Marmite se brisa : épisode 24

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *