Identifier les pervers narcissiques et s’en sortir
Au Grütli, Fanny Brunet, accompagnée de Mathieu Ziegler, raconte son histoire, non pas d’amour, mais d’emprise. Une relation de trois ans avec un pervers narcissique, dont elle est parvenue à se sortir. Montrer les dents : Un texte fort et bouleversant, à voir jusqu’au 22 mai.
En entrant dans la salle du Grütli, je dois le reconnaître, une crainte m’animait : celle de tomber sur un spectacle démagogique, qui se positionnerait – pour le dire rapidement – contre le patriarcat et les hommes de manière générale, en les plaçant dans le rôle du méchant. Montrer les dents saura vous surprendre : c’est tout sauf ça. Partant de sa propre expérience, Fanny Brunet, dans un texte co-écrit et mis en scène par Olivia Csiky Trnka, explore les étapes de l’emprise d’un individu pervers narcissique sur sa victime, théories à l’appui. Pendant 1h15, c’est un parcours ludique, historique et pédagogique qui nous est présenté sur scène, avec une Fanny Brunet accompagné de l’ectoplasme de sa relation avec un homme dont on n’a même pas envie d’évoquer le nom ici. Vous avez vécu une expérience similaire ? Oui ou non… Le spectacle permet de comprendre les tenants et aboutissants de ce véritable cri du cœur proposé par Fanny Brunet.
Théoriser pour comprendre
Difficile de comprendre, pendant la relation, que ce qu’on croit être de l’amour n’est en réalité que manipulation et emprise. D’ailleurs, le fait que ce spectacle soit proposé douze ans après la fin de cette terrible expérience en dit long. Digérer ce qui ne peut être si rapidement avalé.. Je commencerai donc par féliciter Fanny Brunet d’oser prendre la parole sur ce sujet si marquant. Difficile, donc, de prendre la parole, mais aussi de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu pendant près de trois ans. Alors, elle commence, toujours aidée d’Ecto l’ectoplasme interprété par Mathieu Ziegler, théorise les étapes de la relation avec un pervers narcissique : à commencer par la phase de séduction, où tout est beau, le ventre papillonne. Tout commence, donc, comme une belle et sincère histoire d’amour. S’ensuit une phase dite de love bombing, dans laquelle Fanny a été littéralement couverte d’amour, de petites attentions et autres déclarations. Le rêve ? Peut-être oui, mais il ne durera pas…
Car c’est là qu’intervient le retournement de situation : au moment où la victime se sent le plus en confiance, elle baisse sa garde et voilà que les mensonges et la manipulation commencent. Invention ou négation de faits, appui sur les problèmes confiés par la victime pour la rendre encore plus vulnérable… les techniques sont nombreuses et perverses, c’est bien le terme. En est-on conscient, d’un côté comme de l’autre ? C’est à explorer. Culpabilisation, aliénation, isolation…Et ce sont bien ces cinq étapes que Fanny nous raconte sur scène, images d’archives réinventées pour les besoins du spectacle à l’appui. Un moyen de visualiser un début de relation qui semble idéale, mais dont la perversité se lit déjà dans le regard du nouvel « amoureux ». Et quand son ancien voisin (interprété également par Mathieu Ziegler) s’en vient témoigner de la façon dont sa patronne s’est servie de lui, on comprend que le pervers narcissique n’agit pas que dans le cadre d’une relation amoureuse. C’est bien là tout le problème. Hé oui !
Comment s’en sortir ?
Dès lors, le théâtre agit avec un effet cathartique : sur la comédienne d’abord, qui peut expulser le trop-plein accumulé en elle et laisser sortir sa violence. Car de violence, il est bien question : violence de la relation d’abord, mais aussi violence concentrée en soi qui doit sortir, d’une manière ou d’une autre. La scène finale nous permettra d’ailleurs de comprendre un peu mieux le module de plâtre qui trône au milieu du plateau et constitue pour ainsi dire le seul décor de la pièce. Mais on n’en dévoilera pas plus…
Car ce qui nous intéresse, c’est le fond du propos. Pour se sortir d’une telle relation, il faut un élément déclencheur, parfois violent. C’est ce qui est arrivé à Fanny, qui a heureusement pu s’en remettre. Elle, elle a été chanceuse, nous dit-elle, car ce n’est pas le cas de toutes les victimes. Au-delà de son histoire personnelle, c’est la perversion narcissique dans toutes ses dimensions qu’elle aborde. Où naît-elle ? Dans les méandres du patriarcat qui, bien sûr, joue un grand rôle là-dedans. Par patriarcat, on entend aussi société de compétition, où il faut toujours être le meilleur. De fait, à ce petit jeu, ce sont souvent les hommes qui sortent vainqueurs. D’où le fait que la majorité des pervers narcissiques soit du genre masculin… Mais on appréciera particulièrement dans le spectacle l’emploi du terme « individu », qui montre bien que ce n’est pas – que – une question de genre…
Alors, Fanny Brunet, Olivia Csiky Trnka, Mathieu Ziegler, et tout le reste de l’équipe, nous enjoignent, toutes et tous, à Montrer les dents face à une situation qui ne devrait pas exister. Montrer les dents, sans rougir. Car, comme dit souvent Comme – et dans d’autres contextes – la honte doit changer de camp.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Montrer les dents, de Fanny Brunet et Olivia Csiky Trnka, du 10 au 22 mai 2022 au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants.
Mise en scène : Olivia Csiky Trnka
Avec Fanny Brunet et Mathieu Ziegler
https://grutli.ch/spectacle/montrer-les-dents/
Photos : © Dorothée Thébert Filliger