Les réverbères : arts vivants

Inhumaines : plongée dans l’imaginaire

« Comme libérée d’un bandeau, mes yeux retrouvent leur acuité visuelle ; je distingue à présent les moindres affleurements de roche qui m’entourent au travers des doubles paupières transparentes protégeant mes iris. […] Ma peau a repris sa teinte bleutée. » (p. 21)

Entre fantastique, fantasy et science-fiction, nous allons aujourd’hui sauter à pieds joints dans l’imaginaire, en compagnie d’une autrice romande qui sera présente ce week-end au festival Mauvais genre dont nous vous parlions il y a peu. Son nom ? Florence Cochet. Elle signe cette année un recueil de nouvelles étranges et fascinantes : Inhumaines, publié dans la collection Blanc Lait Ment, aux éditions Hélice Hélas.

Inhumaines… ou trop humaines ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Florence Cochet maîtrise à la fois l’art de la nouvelle… et celui du patchwork. Ses quatorze textes, tous inspirés par les genres canoniques de l’imaginaire – de la fantasy la plus épique au fantastique qui fleure bon le Jules Verne, en passant par l’anticipation façon Barjavel, la science-fiction transhumaniste ou le roman gothique à la Frankenstein – forment en effet une tapisserie colorée, à la manière des courtepointes d’antan. Comme le rappelle la quatrième de couverture : « [Ces récits] s’inscrivent dans une longue tradition aux ramifications labyrinthiques et métissages subtils […]. Animés par une imagerie traditionnelle : crocs, vampires, sirènes, fétichisme, thérianthropie, créatures bizarres, épreuves, ils sont aussi d’hybrides exercices de style qui frappent, terrifient ou surprennent en se glissant dans des thématiques contemporaines […]. »

« Engoncé dans mon scaphandre, dans une semi-apesanteur, je patiente en rêvant. C’est tout ce qu’il me reste, rêver. Je me remémore les champs d’asphodèles, les lacs soufrés, les forêts denses de pins bleus, le ciel rougeoyant. Avant la maladie. » (p. 57)

Si les recettes narratives employées par l’autrice s’avèrent facilement identifiables et prêtent d’abord à sourire quand on entame la lecture (on repère assez vite le steam-punk, l’inspiration de Dracula ou la réécriture des vieux mythes), on comprend rapidement que Florence Cochet ne les réactive pas par souci de facilité.

Au contraire : elle prend soin d’y apporter sa patte, comme une orfèvre qui s’amuserait à faire scintiller un vieux joyau, en le sertissant sur une parure neuve. Elle ciselle ses phrases, polit ses mots, avive ses figures de style avec le soin de celle qui sait comment redonner du lustre aux motifs parfois éculés… et ça marche ! En sa compagnie, on est surpris·e de (re)découvrir autrement les sirènes chères à Andersen ; on s’amuse en croisant le véritable Nautilus sur fond de métalepse narrative ; on se questionne sur la fin de vie et le suicide volontaire, transposé chez des aliens et dans une station spatiale… Il y a de la sensualité, de l’inventivité au détour de chaque histoire – et on se prend à fantasmer, en compagnie de vampires fétichistes et de somptueuses succubes, sans perdre de vue les enjeux d’aujourd’hui, souvent révélés par la chute brutale (parfois fatale !) qui clôture chaque nouvelle.

Bref, on en redemande !

« Derrière la vitre sans tain, le docteur Vidrenc consulta les données transmises par la machine. […] Elle se pinça l’arête du nez. David avait à peine trente-six ans et il ne pouvait déjà plus faire partie du cheptel des reproducteurs. Quelle tristesse ! Et surtout, quel gâchis ! Un si beau spécimen, si calme, si docile. Jamais un signe de rébellion, jamais un doute. Intelligent et peu curieux, grâce à son exceptionnelle réceptivité aux ondes du neurostimulateurs. Le mâle parfait. » (p. 31)

Magali Bossi

Référence :

Florence Cochet, Inhumaines, Vevy, Hélice Hélas, 2023, 228 p.

Photo : © Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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