La plume : BA7 / MA7La plume : critiqueLa plume : littérature

Innocente culpabilité

« Une professionnelle de treize ans, six mois et huit jours, qui s’était aussitôt organisée avec la ferveur qui s’attache aux bonnes résolutions de nouvelle année. Elle serait digne de ce travail rémunéré par la fondation Galatée. Nulle jalousie envers celles qu’elle sélectionnerait, car son tour viendrait. Cathy le lui avait promis : les bénéficiaires des bourses avaient entre treize et quinze ans. Cathy avait eu tort de précipiter les choses. L’année prochaine, elle se représenterait. » (p. 66)

« Il y a trente-cinq ans que je voudrais te demander pardon » : c’est ce que Cléo ose enfin exprimer à celle qui était la source de ses remords, après des années de silence. Chavirer, sixième roman de Lola Lafon, raconte l’histoire de Cléo, jeune collégienne de treize ans, danseuse issue d’un milieu modeste. L’héroïne voit sa vie chavirer lorsqu’elle passe du statut d’adolescente aux rêves de réussite et de célébrité, à celui d’élue. Naïve et ambitieuse, Cléo est loin d’imaginer que le concours pour obtenir une bourse d’études, afin de devenir danseuse professionnelle, bouleversera sa vie. L’adolescente est plongée dans une situation qui vire au cauchemar : elle se fait agresser sexuellement. De véritable star du collège, admirée par ses camarades, Cléo n’est alors plus que l’ombre d’elle-même ; elle s’efface, se renferme et tombe dans l’oubli. Le récit nous fait vivre un voyage troublant, car il alterne le passé et le présent de l’adolescente, brouillant ainsi les repères temporels du lecteur :

« Aujourd’hui, elle doit avoir quarante-huit ans, “Natacha”, venue toute seule au Bataclan en février 1995, qui avait balancé un coup de pied dans le tibia du vigile et s’adoucissait au contact de la lumière, une inconnue préservant parfaitement son anonymat de fille nue.

“Natacha ”, une douzaine d’années en 1985, prétendante à la bourse Galatée. (p. 163)

Après le premier chapitre, il ne s’agit plus du point de vue de Cléo, mais celui d’autres personnages, tous en relation avec elle. Les thématiques abordées dans ce roman sont si diverses qu’il est impossible de ne pas s’identifier à l’une de celles-ci : féminisme, antisémitisme ou encore injustice et discrimination. C’est une jeunesse volée, brisée et réduite au silence que la narration décrit.

Ce roman est à la portée de tous, parce que l’écriture de l’autrice est à la fois pleine de richesse et de simplicité. Le registre de langue tend vers le familier et paradoxalement, Lola Lafon rend les descriptions originales et bien étoffées. Elle opte pour une écriture à la fois accessible et recherchée, ce qui rend le style du texte original. Cela permet au lecteur, quoiqu’un peu désorienté, de se plonger facilement dans le récit. Les émotions, simplement suggérées, sont bel et bien présentes à la lecture de l’œuvre, et l’on se retrouve bouleversé, tout comme l’a été Cléo.

Luana Pidoux

Références : Lola Lafon, Chavirer, Actes Sud, 2020, 345p.

Photo : © Luana Pidoux

La Pépinière

« Il faut cultiver notre jardin », disait le Candide de Voltaire. La Pépinière fait sienne cette philosophie et la renverse. Soucieuse de biodiversité, elle défend un environnent riche, où nature et culture deviendraient synonymes. Des planches d’une scènes aux mots d’une page, des salles obscures aux salles de concert, nous vous emmenons à la découverte de la culture genevoise et régionale. Critiques, reportages, rencontres, la Pépinière fait péter les barrières. Avec un mot d’ordre : jardinez votre culture !

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