Les réverbères : arts vivants

Intégré.e et si vite exclu.e

Le jeudi 9 mars, au cœur du festival de danses urbaines Groove ‘N’ Move, une veste de costume noir passait d’une main à l’autre. D’une main légitime à celles qui n’enfileront jamais cette belle veste. Pourquoi au juste ? La compagnie de danse MEK, dirigée par Muhammed Kaltuk, interrogeait la notion d’accès au pouvoir et d’étranger dans Father Politics. Une réussite et un coup de poing.

C’est une première. Au Théâtre du Loup défilait le festival Groove ‘N’ Move qui avait lieu du 2 au 12 mars à Genève. Le théâtre accueillait pour l’occasion la troupe de Muhammed Kaltuk pour un spectacle d’une heure, durant laquelle, souffle coupé, nous assistions aux diverses combinaisons de hip-hop, break-dance et dance-hall. Les danseurs et danseuses, aux origines les plus diverses, qu’il s’agisse de leur histoire personnelle ou de leur style de danse, nous ont happé·e·s.

Father Politics : les politiques des ancêtres, les dynamiques patriarcales de nos pères en fonction dans notre société ? La traduction est difficile mais cible ce qui n’a de cesse d’exister comme une autorité avérée et qui, pourtant, ne l’est pas. Plusieurs formes d’autorité sévissent notamment dans le secteur du travail et de l’embauche sans être justifiées pour autant.

C’était donc l’histoire d’une ascension au pouvoir, avec comme décor, très peu d’objets scéniques pour signifier beaucoup : quelques blocs mobiles étaient placés en arc de cercle sur lesquels pouvaient s’asseoir les danseurs et danseuses. Placés une fois à la verticale, ces blocs représentaient les marches d’un podium, voire la barrière ou le plafond de verre existant entre les différentes couches sociales d’une entreprise ou, plus généralement d’une société. Iels tentaient à maintes reprises de comprendre pourquoi une certaine veste de costard cravate, classique et infusée de réussite leur allait bien ou ne leur allait pas du tout ? Elle était la raison pour laquelle iels s’affrontaient, donnant à voir au public des figures de danse d’une impressionnante élégance pour tenter de s’arracher la veste. Puis, écrasés, attirés ou malmenés par l’un ou l’une collègue, chacun·e d’entre elleux retournait vers le bloc. Nous avons, avec le public, beaucoup réfléchi et ri, aussi.

Le récit était bien ficelé, même s’il aurait été appréciable de ne pas trop insister sur l’importance de la veste à se partager. Son irruption multiple créait parfois de trop grandes coupures dans le spectacle. Des coupures tout de même nécessaires, qui étaient l’occasion pour l’une des danseuses de prendre la parole et de défendre le point de vue de la nouvelle génération : celle-ci est diversifiée, c’est-à-dire de toutes les couches sociales, de toutes les couleurs, de tous les genres et il faut désormais aller au-delà d’une quelconque acceptation ; la nouvelle génération diversifiée doit être représentée, sans concession, à tous les échelons de la société.

Stromae n’est par ailleurs pas passé inaperçu ce soir-là. Présent sur tous les tableaux, il embaumait la salle avec ses textes des chansons Ta fête, Santé, L’enfer, Alors on danse qui thématisent les injustices, les nomment, les dénoncent.

La Compagnie MEK se mouvait alors aux rythmes des différents paragraphes du chanteur et des zones d’ombre, dont le règne n’a pas encore cessé dans notre société. Comment changer ce qui est et ne peut plus être ?

La question est vaste et ne peut s’arrêter à une dénonciation simple, comme celle d’allumer tout à coup les spots en direction du public et jugé, alors, qu’il est trop peu représentatif des différences. Penser au-delà des différences pour créer une communauté demande beaucoup d’efforts d’anticipation, relèvera-t-on le défi ? Nous l’espérons d’ici la prochaine session du Groove ‘N’ Move!

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Father Politics, de Muhammed Kaltuk, avec la Compagnie de danse MEK, le jeudi 9 mars au Théâtre du Loup.

Chorégraphie : Muhammed Kaltuk

Avec Annakatharina Chiedza Spörri, Sarafina Beck, Schanika Mohn, Lea Korner, Manuel von Arx, Witthawat Tonja, Egon Gerber et Moa Bomolo

https://theatreduloup.ch/spectacle/father-politics/

Photos : © Laura Gauch

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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