Le banc : cinéma

Into the Night : quand l’absence creuse des abîmes au cœur de la nuit

Le court-métrage de Fayçal Hammoum tourné de nuit à Alger, vous percute, vous happe et vous bouscule tel un tsunami auquel vous n’auriez pas eu le temps d’échapper. Il vous submerge, vous malmène et vous entraîne sans relâche vers l’abîme dans lequel a glissé Louisa, mater dolorosa insondable et magnifiquement interprétée par Djalila Kadi Hanifi.

Un sac en plastique serré tout contre elle, une femme est assise à l’arrière d’un taxi et ne répond pas aux sollicitations prudentes du taximan. À travers la vitre elle scrute attentivement la nuit qui tombe. Puis lâche abruptement : « On s’arrête là ». Là, c’est en plein milieu d’un tunnel. Commence alors pour Louisa une longue errance à travers la ville dont elle examine les murs et les habitants d’un regard attentif et pourtant las. Que cherche-t-elle ?

Ne pas oublier Souad 

On comprendra très vite que sa quête est double. Louisa est à la recherche, inlassablement, de sa fille, Souad, et d’endroits où coller les affiches qui signalent la disparition de cette dernière.

La caméra de Fayçal Hammoum la suit de près, accélère, ralentit et s’immobilise au gré des rencontres fortuites que fait Louisa. Toutes semblent raviver des souvenirs et la rapprocher de Souad. Rencontre incongrue avec la jeunesse algérienne, lorsque Louisa se glisse dans un cercle de jeunes rappeurs qui dansent et chantent la vie. Rencontre mélancolique, lorsqu’elle accepte de prendre en photo une famille unie à la sortie d’un parc d’attraction. Alors que brille au loin la grande roue, Louisa va enfin trouver un mur où placarder son avis de recherche. Le sourire éclatant de Souad semble alors vous poursuivre jusqu’au plus profond de la nuit.

L’errance de Louisa, dans laquelle Hammoum vous entraîne malgré vous, trouve enfin un répit lorsqu’elle passe la porte d’un salon de coiffure. Malgré l’heure tardive, la jeune patronne offre de lui couper les cheveux tout en détaillant sa relation amoureuse naissante avec un pâtissier. Ce qui fera dire à Louisa que Souad, elle, raffole de mille-feuilles. Se raccrocher, encore, au présent, comme pour empêcher l’oubli d’engloutir l’absente.

Tourné exclusivement de nuit, le film de Hammoum semble envelopper Louisa de ses tonalités sombres, tel un linceul déposé sur sa douleur. Peu de dialogues, – le film est tourné en arabe – tous sourds à la complainte muette de cette mère obstinée, soulignent l’absence de compréhension d’un entourage petit à petit gagné par l’indifférence.

La fin du film vous embarque jusque dans le tramway où Louisa a pris place pour poursuivre son errance nocturne. Dans un virage, soudainement, une affiche. Vous comprendrez alors que vous avez accompagné Louisa jusqu’au plus intime de son long voyage.

Annik Morier-Genoud

Références : Toute la nuit – Into the Night, Fayçal Hammoum, Algérie, 2022.

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