Je et moi-même : jeu de double à l’Alchimic
Du 3 au 13 octobre, Marjolaine Minot va au bout d’elle-même au Théâtre Alchimic. Dans Je suis la femme de ma vie (mis en scène par Philippe Minella), elle dialogue avec son double pour tenter de saisir les méandres de son « moi ». Vivre avec soi-même, c’est donc vivre à deux ?
Difficile de résumer en quelques phrases l’aventure intérieure qui attend le spectateur de Je suis la femme de ma vie. On pourrait se rabattre sur des formules bien connues – un peu de philosophie, de littérature ou de psychanalyse à l’emporte-pièce. Au choix : connais-toi toi-même, je est un autre, je pense donc je suis, être ou ne pas être… Ce serait, peut-être, aller vite en besogne (quoique de manière élégante) et rendre bien peu justice à la richesse du texte de Marjolaine Minot.
On pourrait aussi décrire Je suis la femme de ma vie par l’angle formel – mais là encore, le bât blesse. Une seule actrice joue sur scène ; c’est donc un monologue ? Non, car Marjolaine est accompagnée d’un batteur-percussionniste aussi subtil qu’efficace, Rafaël Koerner. Sans être flagrant, le dialogue se déploie entre eux de manière fine, les rythmes répondant au texte presque sans en avoir l’air, les baguettes habilement maniées tissant peu à peu l’arrière-plan des questionnements de l’actrice. À ces deux êtres de chair et d’os s’ajoute un troisième : le double de Marjolaine Minot, son alter-ego intérieur, son sub-in-conscient pas si refoulé que ça. Elle, en un mot – mais autre. Nous l’appellerons le Double et nous lui concèderons la majuscule, eu égard à la qualité de son jeu.
Je suis la femme de ma vie est donc un dialogue : celui que Marjolaine Minot (dite Minotte, dite Marjo, dite Barjot parfois – si j’ai bien suivi) entretient avec elle-même. Et c’est par là qu’il faut décrire cette pièce étonnante, bourrée de petits détails personnels et autoréférentiels dans lesquels chacun peut quand même se reconnaître. Qu’elle soit assumée ou reniée, harmonieuse ou conflictuelle, n’entretenons-nous pas tous une intime relation avec nous-même ?
Une pièce, un procédé
Ce procédé, cette scénographie particulière est tout d’abord le résultat d’un décor épuré. Une batterie, sur la gauche… et sur la droite, une drôle de structure en bois. Des boîtes de toutes tailles s’y imbriquent ; il y a des accoudoirs, des marches, des espaces planes où s’asseoir, se coucher… L’ensemble donne à la fois l’impression d’une grande solidité et d’une forte légèreté, tant il se module à souhait durant la pièce, au gré de la volonté de la comédienne : les boîtes changent de place, la structure tourne sur elle-même, un plateau se rajoute ou s’escamote. Cette structure, il faut peut-être la lire comme l’espace mental de Marjolaine, celui au sein duquel elle évolue, celui au sein duquel elle se projette.
La projection, parlons-en, justement. Par un habile jeu d’éclairage, le Double de Marjo prend vie. Mais prend réellement vie, entendons-nous bien. Ce Double est une image projetée, un hologramme de Marjolaine elle-même, qui prend corps sur la structure de bois et avec lequel Marjolaine (la vraie, donc), dialogue, discute, dispute – bref, interagit. Ce Double, c’est un personnage à part entière, un vrai partenaire de vie et de jeu. Tour à tour d’humeur railleuse, autoritaire, fantasque, extravertie ou totalement de mauvaise foi, le Double est à la fois le guide, le rempart, le rival de Marjolaine face au monde et au sein d’elle-même. Avec lui, elle se questionne de manière tragi-comique : la naissance, le mariage, l’amour, la mort, le quotidien… mais jamais ne sombre dans le drame facile, cherchant et trouvant toujours la petite étincelle de folie qui fera rire. Il lui en fera voir des vertes et des pas mûres, ce Double, allant même jusqu’à tenter la métalepse narrative[1] pour mieux chambouler le réel. Et pourtant, Minotte, elle l’aime. Car sans lui, pourrait-elle être vraiment elle-même ?
Je suis la femme de ma vie, voilà un titre qui dit bien l’enjeu que Marjolaine Minot parvient à saisir. Et pour finir, mon propre Double et moi-même, nous aimerions lui dire : merci.
Magali Bossi
Infos pratiques :
Je suis la femme de ma vie, de Marjolaine Minot (avec la collaboration de Philippe Minella) du 3 au 13 octobre au Théâtre Alchimic.
Mise en scène : Philippe Minella
Avec Marjolaine Minot (jeu) et Rafaël Koerner (musique)
Photos : © Marion Savoy
[1] Autrement dit, la transgression des niveaux récit / histoire / réalité.
Ping : Rire pour retrouver l’alchimie – l a p e p i n i e r e