Les réverbères : arts vivants

Joseph, Florian, Pierre… et les autres

Joseph Gorgoni est un miraculé. Sans Marie-Thérèse, il raconte comment il est passé trois fois à deux doigts de la mort en quelques mois. Grâce à l’indéfectible soutien de Florian, son compagnon depuis plus de vingt ans, et le puissant souvenir de son complice Pierre Naftule, il nous dit entre rires et larmes son émotion d’être à nouveau sur scène. Et le public le lui rend bien. Trans Planté est à voir au Casino-Théâtre jusqu’au 19 mars puis en tournée, pendant quatre mois, dans toute la Suisse romande.

C’est un peu comme d’avoir rendez-vous avec un vieux copain qui revient de voyage. On se réjouit de le retrouver. On sait bien qu’il a vécu l’enfer. Qu’il va essayer de raconter l’irracontable. Et qu’il va nous faire rire. Comme d’habitude.

Fibrose, transplantation bi-pulmonaire, quarante-deux jours de coma, un champignon mortel… même ses médecins n’en reviennent pas. Il a été tellement malade qu’il ne devrait plus être là pour en parler. Et pourtant, à un moment, c’est justement cela qui l’a aidé. Trouver la force de tenir pour en faire un spectacle.

Alors c’est un peu comme si on feuillette un album de photos. Joseph Gorgoni revient sur cette villégiature mortifère. En 2018, il faisait le pitre chez Knie, se sent essoufflé, consulte, apprend qu’il doit se faire greffer deux poumons suisse-allemands, rencontre le beau professeur Michel Gonzalez, s’en sort, chope le covid, se fait intuber, passe un mois et demi dans le coma, s’en sort à nouveau avant d’attraper un champignon mortel pour 99% des gens… et il est là, ce soir, sur scène, à peine essoufflé. Un miracle, on vous dit.

C’est à ce miracle peut-être davantage qu’à un spectacle que le public a envie d’assister. Quoi qu’il nous dise, on a envie d’être là pour le remercier de nous faire rire depuis trente ans avec Marie-Thérèse. Et surtout applaudir sa formidable résilience. La salle debout et le tonnerre de vivats aux saluts le prouvent.

C’est aussi un peu comme un film qu’on vient voir – tout en connaissant déjà l’histoire – parce qu’on aime bien les acteurs. Il y a un petit air de Claude Sautet dans le récit. Des amis de longue date autour de la cinquantaine qui traversent une mauvaise passe. Joseph va être transplanté, Pierre se prend pour Charlie Mingus, Pascal fait le petit joueur avec son triple pontage… autant de merdes qui nous tombent dessus pour peu à peu prendre conscience de la relativité des choses.

Alors l’amour des proches comme le meilleur médicament. Et la parole donnée à celui qui part qu’on va continuer à se marrer autant que possible : Heureusement qu’on m’a greffé des poumons et pas des testicules, sinon j’aurais eu des boules de Bâle… Certainement que Naftule aurait apprécié. On vient aussi voir Joseph pour se souvenir de Pierre. L’hommage à l’ami et au maître traverse tout le spectacle. Rire et drame ne sont jamais loin, l’humour émerge souvent du noir de son trait. La mélancolie du temps qui passe cohabite ainsi avec des sommets de drôlerie comme cet IRM qui ressemble à une soirée techno qui aurait mal tourné…

En se remémorant les étapes de sa vie pendant ses anesthésies et son coma, Joseph revient sur ses débuts et plus particulièrement la comédie musicale Cats dans laquelle il n’est pas peu fier d’avoir dansé. Il nous offre en prime quelques clins d’œil délicieux à la pittoresque Marie-Thérèse. On a d’ailleurs hâte de la revoir elle aussi. Agrémenté de photos et vidéos, il parle de ses amours de jeunesse, de ses nuits parisiennes, de l’Olympia et des Bouffes brialyens, de toutes ces vedettes qu’il a croisées dont Aznavour à qui Joseph a chanté la Panosse sur l’air de la Bohème en disant combien une petite mélodie peut être sauvée par un grand texte…

On écoute avec plaisir les épisodes dans lesquels nous embarque celui qui est revenu du néant en passant par Gland. Le comique des situations ne fait pas oublier que le propos est aussi une mise en avant de l’humanité des tous ces gens qui travaillent au chevet des malades, de l’infirmière sénégalaise frontalière au grand intubateur Pugin sans oublier le préposé dépressif du CHUV. Une galerie de personnages dévouée à la double cause du rire comme remède et du don d’organes pour sauver des vies.

Comme dans une soirée avec un vieux copain, on n’a pas vraiment envie que cela s’arrête. On reprendrait bien encore une petite chansonnette détournée, une anecdote croustillante (J’étais pourtant prêt pour la chimio vu ma coupe de cheveux…) ou une saillie amicale (J’avais dit à Pierre qu’il pouvait toujours se gratter… mais il ne pouvait plus.) Ce retour aux sources à la rue de Carouge montre que la vieille est de nouveau en forme. Ses succès artistiques sont éclatants mais, à n’en point douter, c’est son dernier rôle de Phénix en chemise de nuit ouverte sur les fesses qui est assurément son plus grand succès. Show must go on.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Trans Planté, de et avec Joseph Gorgoni, au Casino Théâtre, du 8 au 19 mars 2023 puis en tounée jusqu’en juillet en Suisse romande (dates sur https://marie-therese.ch/#geneve)

Mise en scène : Pascal Bernheim et Sébastien Corthésy

Photos : © Amélie Perrod et Nathan Hausermann

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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