Le banc : cinéma

Kajillionaire : escroqueries, relations malsaines et solitude

Figurer à l’écran une famille d’escrocs n’est pas aisé. Et quand vient se mêler une personne externe qu’on n’attendait pas, cela donne lieu à d’étranges situations et conduit à la solitude. C’est ce que raconte Miranda July dans son troisième long-métrage, Kajillionaire, en salles dès le 15 septembre prochain.

Old Dolio Dyne (Evan Rachel Wood) a été élevée par ses parents Theresa (Debra Winger) et Robert (Richard Jenkins) dans un seul but : qu’elle leur emboîte le pas dans leur vie de voleurs. Mais quand, sur un coup mal préparé, ils rencontrent Melanie (Gina Rodriguez) dans l’avion et qu’elle rejoint l’équipe, tout va changer. Le quotidien de ces escrocs de petite envergure qui vivent dans un sous-sol qui fuit à heures régulières, loué par un chef de chantier trop émotif, sera bouleversé d’une façon qu’ils n’attendaient pas. Raconté ainsi, Kajillionaire (milliardaire en argot), pourrait s’apparenter à une comédie. Si c’est bien ce ton qui prime au début du film, le scénario laisse rapidement place aux drames.

Des relations malsaines

Ce qui marque avant tout, ce sont l’étrangeté des relations entre les quatre protagonistes. Theresa et Robert s’enferment dans leur peur de l’ultime séisme et s’inventent de drôles d’histoires autour de ce potentiel événement à chaque fois qu’une secousse a lieu – et elles sont fréquentes – là où ils vivent. Rapidement, on comprend que leur fille a été éduquée en marge, et pas seulement parce qu’ils sont des voleurs. La relation entre les trois Dyne laisse elle aussi à désirer : loin de la famille harmonieuse, ils s’apparentent plutôt à des associés qui partagent en trois le butin de chacun de leurs coups. Preuve ultime s’il en fallait une de l’anormalité de leurs liens : Old Dolio a été nommée d’après le nom d’un nanti dont ils croyaient qu’elle hériterait simplement par son nom. L’arrivée de Melanie ne simplifie rien à tout cela. Robert la considère comme un fantasme à assouvir après avoir compris qu’elle attirait le regard des hommes. La scène durant laquelle il lui demande de se déshabiller avant d’entrer dans le jacuzzi, pendant que Theresa apporte des petits gâteaux apéritifs est sans doute le paroxysme de ce sentiment de malaise latent tout au long du film. On évoquera enfin la relation, sans doute la plus intéressante, entre Melanie et Old Dolio. Tout semble les opposer, du physique à la personnalité. La première nommée est portoricaine et métis, elle aime porter des tenues moulantes et laissant apparaître son ventre, tandis que la seconde a la peau très blanche et porte constamment des vêtements larges. Melanie incarne une certaine joie de vivre, avec son enthousiasme constant, alors qu’Old Dolio semble porter toute la misère du monde sur ses épaules, et pour cause : elle est sans cesse rabrouée par ses parents, là où Melanie parvient immédiatement à faire l’unanimité au sein du couple. Cette opposition crée une forme de jalousie de la part d’Old Dolio, qui semble détester Melanie, alors qu’à l’inverse, l’attirance de cette dernière pour la jeune femme est perceptible dès leur rencontre. L’évolution de leur lien, qui passera par une phase maternelle, crée ce sentiment de malaise comme on l’aurait en assistant à une relation incestueuse.

Un film sur la solitude

Avec ses images assez brutes, souvent focalisées autour d’Old Dolio, Kajillionaire crée une atmosphère authentique. La beauté de l’image n’est pas recherchée ici, c’est plutôt une réalité crue qui est mise en avant. La bande son, composée principalement d’une mélodie de piano mélancolique, contribue à l’ambiance morose, qui s’éloigne rapidement de la comédie. Dès les quinze premières minutes du film, on comprend ainsi la solitude d’Old Dolio, qui rêve d’une vie normale et heureuse avec ses parents. Le retour de New York, seule au fond d’un bus, en est sûrement l’image la plus saisissante. Le contraste entre l’accueil de Melanie et la distance mise entre les parents et Old Dolio ajoute encore à ce sentiment. Le premier sourire de la jeune femme intervient après ce qu’elle croit être le séisme ultime, qui, sans que cela ne soit dit, pourrait la libérer de l’emprise de ses parents, et de cette relation de dépendance sans amour qu’elle entretient avec eux. Pour autant, le film peine à convaincre, tant on comprend la mécanique dès les premières minutes du film. Les événements s’enchaînent sans réelle surprise et, si on ne s’ennuie pas, on regrette l’absence de surprise dans le scénario.

La performance d’Evan Rachel Wood ne suffit malheureusement pas à sauver ce film, mais s’il ne fallait retenir qu’une raison de le voir, ce serait bien cette performance. Être capable de faire évoluer, avec énormément de subtilité, son personnage de l’ado attardée et blasée à la jeune fille qui ne cherche que l’amour et la reconnaissance de ses parents, le tout sans jamais l’exprimer clairement, n’est pas donné à tout le monde. Par la finesse de ses expressions et ses jeux de regard, elle fait avancer le personnage d’Old Dolio pour le rendre attachant et questionner les relations malsaines qu’elle entretient avec les autres protagonistes, pour l’amener vers une stabilité qu’elle aura passé trop de temps à chercher.

Fabien Imhof

Référence : Kajillionnaire, de Miranda July, avec Evan Rachel Wood, Gina Rodriguez, Richard Jenkins et Debra Winger, sortie en salles le 15 septembre 2021.

Photo : © Matt Kennedy

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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