Les réverbères : arts vivants

Klébart et bobards

L’Espace Vélodrome à Plan-les-Ouates a accueilli le duo Rosset-Donnet Monay devant un public conquis d’avance. Sur scène, un couple dérape tranquillement pour jouer le schéma un brin éculé de l’homme infidèle et de la femme digne d’être meurtrie. Le talent comique de nos stars romandes suffit apparemment à sauver les meubles bourgeois d’une distraction qui ne l’est pas moins. On ne se mentira jamais : une comédie d’Eric Assous, Molière de l’auteur francophone 2015.

L’entrée en matière donne le ton. Brigitte et Marc arrivent sur scène en nous avertissant qu’ils vont jouer Marianne et Serge mais que ce n’est pas leur vie… et que cette histoire de couple n’est pas forcément l’histoire des couples dans la salle… La mise en abyme est habilement posée et nous pouvons glisser dans le texte de la pièce en même temps que baissent judicieusement les lumières de la salle.

Un salon bobo feutré sert de décor à cette comédie au scénario convenu bien qu’écrit au cordeau. Un mari, une femme, le bonheur d’être heureux et celui que ça emmerde les autres. Sans surprise, on assiste alors, à partir d’une discussion banale, au lent délitement d’un couple qui pensait son histoire soudée dans la confiance réciproque. Le diable se cachant dans les détails, la façade harmonieuse va se craqueler dans le doute insidieux. Ainsi, à partir du souvenir vivace d’une ancienne voisine nommée Sophie Klébart, Marianne va entraîner son mari dans un interrogatoire qui sera le fil rouge du spectacle. Acculé par la logique implacable de sa femme, Serge va dès lors se retrouver acculé dans les cordes de ses bobards. Et les mimiques bonhommes du grand petit homme contrit feront mouche auprès du public, tout comme les surexpressions consternées et figées face public de l’épouse cocufiée.

Bien sûr, le propos est prétexte aux sempiternelles questions de l’amour. Est-ce qu’il y a une différence entre taire une vérité et dire un mensonge ? Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Combien sommes-nous à vivre avec nos petits secrets ? Perdrions-nous le lien de celleux qui nous aiment si iels savaient tout ? Et surtout, suis-je apte à entendre la réponse à la question que je pose ? L’auteur multi récompensé Éric Assous tresse parfaitement les ficelles psychologiques de ces deux archétypes des non-dits, mensonges et autres trahisons séculaires de celles et ceux qui essaient de durer ensemble.

Marc Donnet Monay a tout ce qu’il faut pour jouer l’innocent, le faux benêt à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Son physique dégingandé, son faux air sympa à la Dany Boon et son déhanché suranné fonctionnent à merveille. Quant à Brigitte Rosset, elle excelle comme à chaque fois dans le registre comique qu’elle sublime en arrivant toujours à lui donner un fond de vérité. Le talent humoristique du duo sert donc à merveille l’engrenage paranoïaque du propos jusqu’au grippage final.

À n’en point douter, le public friand de ces vaudevilles modernes goûtera la drôlerie de l’ensemble et les punchlines de certaines répliques. Et puisque le théâtre est le reflet de nos vies, on pourra extrapoler à loisir sur l’analyse de cette gentille comédie qui souligne l’insécurité existentielle saisissant tant de couples dans les moments vertigineux où on questionne le périmètre de l’inévitable jardin secret de l’autre.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

On ne se mentira jamais, d’Eric Assous à l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates, le 4 octobre 2024 puis en tournée (dates et lieux ici).

Mise en scène : Christian Scheidt

Avec Marc Donnet Monay et Brigitte Rosset

Photos : © Stéphane Schmutz

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *