Krazy Kat : une histoire de briques
C’est grâce à ce spectacle que la première brique du Théâtre du Loup avait pu être posée. C’est donc tout sauf un hasard si c’est avec lui que se clôt l’aventure des fondateur·ice·s de ce lieu devenu iconique. Krazy Kat Iz Back, c’est à voir jusqu’au 25 mai.
C’est l’histoire d’une chatte, Krazy Kat (Lola Riccaboni), follement amoureuse d’un souris, Ignatz Mouse (trois enfants en alternance). Mais celui-ci n’en a cure et préfère s’amuser en lançant des briques sur la tête de sa prétendante, qui prend ça pour une déclaration. L’histoire serait simple, sans un troisième larron : le Sergent Pupp (Janju Bonzon), policier de son état, qui fait régner l’ordre et n’hésite pas à mettre le malin souris en prison. Autour d’eux gravitent encore d’autres personnages : Aloys Lolo interprète tour à tour Mme Kwak Kwak – qui n’a que peu d’autres mots au bec – et un machiniste, chargé de changer les décors ; Juliette Riccaboni alterne entre Doc Hi-Bou, le médecin du bled, Mimi, la grande séductrice qui rend fou tout le monde, La Brique, Le Mage et le Grogneur, ce grand bandit recherché et craint de tou·te·s ; quant à Adrien Zumthor, il est l’autre machiniste, Mr Myoule, ce milliardaire qui a fait fortune en vendant de l’herbe à chat, et Kolin Kelly, grand briquetier. Tout ce joli monde, accompagné par les musicien·ne·s Simon Aeschimann, Céline Frey, Christian Graf et Cédric Simon, qui prêtent également leurs voix au personnages, vit de nombreuses aventures, toutes issues de la BD de George Herriman. Il nous faut encore citer Rossella Riccaboni, pour compléter ce casting, dans son rôle de Krazy Kat in blue. Le tout sous les ordres du chef d’orchestre Eric Jeanmonod. Une manière de clore en fanfare cette 22ème et ultime saison à la tête du Théâtre du Loup.
Une partition millimétrée
Si on parle de chef d’orchestre pour définir le rôle d’Eric Jeanmonod, c’est que sa mise en scène est parfaitement millimétrée. Aucune place au hasard ou à quelque imprécision. Et pour cause, les costumes et masques imposants portés par les comédien·ne·s ne leur permettent pas de parler. Ce sont donc les musicien·ne·s, devenu·e·s narrateur·ice·s qui leur prêtent leur voix. La coordination entre paroles et gestes et impressionnante et on se prend tellement au jeu, qu’on en oublierait presque leur présence en bord de scène. Presque, dit-on, et pour cause : l’hilarante scène entre le Sergent Pupp et Cédric Simon, son doubleur, lorsque le premier accuse l’autre de l’imiter, vient nous rappeler que tout cela n’est qu’une immense machinerie. C’est dire à quel point l’équipe maîtrise son sujet, pour nous faire entrer totalement dans son univers.
De cette machinerie, on n’a qu’un aperçu. Au vu du nombre impressionnant de personnages, en rapport à celui des comédien·ne·s, on ne peut qu’imaginer la performance physique à accomplir pour les changements de costume en coulisse. Ajoutez à cela qu’un même personnage apparaît par moments en couleur, pour rappeler les cases du dimanche d’Herriman, cela fait encore un costume de plus à endosser pour chacun·e. Cette machinerie qu’on évoquait, donc, est également totalement assumée. En témoigne ce vieux machiniste qui pense à haute voix, se rappelant où doit être placé tel élément de décor. Après une vingtaine d’années, il s’en rappelle parfaitement, chapeau ! Même la manivelle qui sert à ouvrir le rideau est visible, pour accentuer cet effet de mise en abîme du théâtre dans le propos de l’œuvre. Un joli tour de force réalisé par un spectacle qui n’a pas vieilli et ravit toujours le public.
De la BD à la scène
Il faut dire aussi que le projet était ambitieux : porter à la scène une bande dessinée aussi iconique que Krazy Kat, où tous les personnages sont des animaux cartoonesques, tout en respectant parfaitement l’esthétique imaginée par l’auteur, il fallait le faire ! Avec leurs costumes rembourrés et leurs énormes masques, les comédien·ne·s sont complètement couvert·e·s, rappelant totalement les personnages de l’œuvre originale. Malgré cela, ils et elles parviennent à se mouvoir incroyablement bien, avec une gestuelle qui rappelle elle aussi les cartoons de notre enfance : Krazy Kat semble presque désarticulée par moment, alors que le souris révèle des gestes plein de malice. Quant au chien policier, un peu pataud, il incarne tout ce qu’on attend d’un Sergent de bande dessinée.
Et que serait un tel spectacle sans les décors ? Chapeau bas à toute l’équipe : on retrouve le noir et blanc, sans nuance, de l’œuvre originale, et les touches de couleur, clins d’œil aux éditions du dimanche, par moments. Comme pour le reste, on joue avec cet univers, notamment lorsqu’il est question de ce cactus sans épines. On n’en dira pas beaucoup plus sur les histoires narrées, pour ne pas gâcher la belle surprise qu’elles nous réservent – avec quelques piques bien senties à notre jolie ville et ses genevoiseries. On soulignera encore la grande qualité de la musique, avec ses influences country rappelant le comté de Coconino où se déroule l’action, en Arizona.
Au final, ce Krazy Kat Iz Back revêt tout ce qu’on attendait : un moment de fête, où l’on sent que chaque comédien·ne prend un maximum de plaisir sur le plateau ; un moment de partage, où la communion se fait totalement entre personnages et public ; un moment de rires, ceux-ci n’arrêtant pas de fuser de tous les côtés de la salle ; un moment d’émotion aussi, de se dire que c’est la fin de cette aventure. Mais quelle aventure, que de souvenirs, que de beaux spectacles offerts par cette fabuleuse équipe. Pour tout, un immense merci ! Et ce n’est, on l’espère, qu’un au revoir !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Krazy Kat Iz Back !, d’après la bande dessinée de George Herriman, par la Compagnie du Théâtre du Loup, du 6 au 25 mai 2025 au Théâtre du Loup.
Mise en scène : Eric Jeanmonod
Avec Janju Bonzon, Aloys Lolo, Juliette Riccaboni, Lola Riccaboni et Adrien Zumthor, les musicien⸱ne⸱s (voix des personnages et musique live) Simon Aeschimann, Céline Frey, Christian Graf et Cédric Simon, les enfants Dina Aboun, Théo Borel et Jeanne Riccaboni (en alternance) et la participation et l’assistance précieuse de Rossella Riccaboni
https://theatreduloup.ch/spectacle/krazy-kat-iz-back/
Photos : ©Elisa Larvego