La collection : rire et se souvenir
Pour la quatrième saison, La Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour de chaque création. Rencontre aujourd’hui avec le collectif BPM, qui propose un nouvel épisode de sa Collection, centrée cette fois sur La soirée diapo et Le roman photo.
À notre arrivée à Saint-Gervais, les trois membres du collectif que sont Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Mifsud (d’où leur nom BPM) s’affairent autour d’un piano aux côtés d’Andrès Garcìa, qui signe la création sonore du spectacle. Alors que le collectif s’apprête à rejoindre le plateau d’ici le début de la semaine, nous nous asseyons autour d’une table et discutons de ce joli projet qu’est La Collection, entamé en 2013. Cette Collection consiste en des formats courts d’une trentaine de minutes, avec un ton assez drôle. Elle prend la forme d’une épopée en plusieurs épisodes. L’idée centrale ? S’emparer de deux objets du quotidien devenus obsolètes, pour aborder une thématique à chaque fois plus large. Ainsi, la K7 évoquait la bande-son de l’existence ; le Vélo-moteur explorait l’adolescence et les différentes émotions qui y sont liées ; la Téléphone à cadran rotatif laissait place à l’imaginaire des conversations à distance ; la Télévision était un prétexte pour se remémorer les émissions de l’enfance, tout en questionnant la place du spectateur ; enfin, le Service à asperges rappelle les repas de famille ennuyeux et tout l’absurde des conversations, avec une certaine inspiration de Fabcaro.
Un projet de A à Z
Le projet de La Collection est né de la volonté des trois acolytes de maîtriser un projet de A à Z, de l’idée à la réalisation, en passant par la définition du style de spectacle et le développement de l’écriture. Pour ce faire, tout est imaginé entre les trois membres du collectif, qui avancent de manière horizontale, tout en s’entourant de nombreux·ses collaborateur·ice·s, que nous évoquerons un peu plus tard. Ce troisième opus donc, se présente comme le roman-photo d’une soirée diapo. Il y sera question de traitement de l’image, du passage de la 2D à la 3D par le biais du théâtre. Les comédien·ne·s voulaient à tout prix éviter d’être des images sur scène. Il ne s’agit ainsi ni d’une simple transposition, ni d’un exercice de style. C’est plutôt l’essence de ces deux objets qui les inspire, à travers la notion d’ennui et la banalité, en confrontant les différents points de vue : d’un côté celui qui montre, avec tout son enthousiasme, de l’autre celles et ceux qui regardent et n’en ont, en réalité, pas grand-chose à faire. Pour illustrer cela, les trois complices nous confient par exemple que la même image reviendra plusieurs fois dans la projection, mais dira autre chose à chaque fois.
À travers ce spectacle, iels aborderont différentes thématiques, comme le voyage ou la famille, afin de parler à l’imaginaire du public. Avec ce sous-entendu, bien que jamais prononcé sur scène, de la formule bien connue désormais : « J’ai fait l’Afrique » ; « J’ai fait le Chili », et ce verbe réducteur du « faire », qui occulte complètement la dimension de découverte. En filigrane de cela, le collectif BPM tisse donc également un mélodrame : du roman-photo, iels ont voulu garder le scénario, avec ce choix cornélien entre une histoire totalement plate ou quelque chose de tout à fait abracadabrant. C’est la seconde option qui a été choisie, et la soirée diapo sera un prétexte à la mise en place de ce scénario. Le spectacle débutera d’ailleurs par la projection d’une diapositive disant : « Tout avait commencé par une banale soirée diapo. » Les liens se tisseront ensuite petit à petit, sans explicitation, pour garder le public en haleine jusqu’à la fin totalement inattendue, dont on ne nous a révélé aucun indice !
Pour rendre compte du mélodrame, le spectacle procédera par moments à des arrêts sur image, où les voix-off des comédien·ne·s viendront relayer les pensées de chacun·e, en s’éloignant des postures exagérément photogéniques du roman photo. Notons ici que, contrairement aux premiers épisodes, où les protagonistes étaient vêtu·e·s tout en noir, la costumière Aline Courvoisier a cette fois-ci opté pour de la couleur, apparition de l’image oblige. Le décor, également évoluera, puisqu’aux habituelles trois chaises sera ajoutée une projection, travaillée par Cedric Caradec, bien aidé par les illustrations de Tassilo Jüdt et par le responsable technique Julien Frenois. Le son, comme de coutume, viendra également habiller le tout, grâce aux subtils arrangements d’Andrès Garcìa.
Souvenir et rapport à l’image
L’idée de la projection sous-entend celle de la manière dont les légendes se créent. Nos souvenirs sont souvent basés sur des erreurs, des interprétations, des oublis parfois d’un élément. Les images mentales qu’on peut avoir sont ainsi parfois tirées de perceptions du monde complètement erronées. La confrontation des points de vue des trois personnages permettra ainsi de revenir à une sorte de vérité. Sans s’en rendre compte, nos trois protagonistes comprendront qu’iels se sont déjà croisé·e·s, ou que des coïncidences parfois improbables les relient. Seulement, tant iels seront coincé·e·s dans leurs idées, iels n’en feront absolument pas cas. D’où le décalage comique que le collectif BPM espère créer.
Pour parvenir à le faire comprendre, iels se sont entouré·e·s de François Gremaud et Adrien Barazzone pour le regard extérieur. Cela leur a permis de développer le jeu absurde autour de sujets banals, en puisant le concret et des références populaires, pour emmener le public dans l’inattendu, avec une dimension poétique.
Pour la suite, le collectif ne sera au plateau que quelques jours avant la première. Ensemble, iels ont beaucoup travaillé à table, pour le côté écriture. Iels se connaissent tellement bien qu’iels savent déjà ce que cela donnera sur scène, en reprenant les entités déjà connues de La Collection. Il y a bien sûr toujours des challenges, mais le collectif BPM espère s’appuyer sur la bêtise à ras les pâquerettes qui fait leur force, un humour totalement assumé nous disent-iels ! Sur scène, les trois entités sont comme trois monolithes totalement étanches à ce que les autres amènent. Aux spectateur·ice·s, donc, de faire les liens que ces trois personnages ne parviendront pas à faire.
Attention, La Collection n’est pas un spectacle psychologique. Les personnages sont parfois violents dans leur propos, totalement décalés, mais il n’y a jamais d’intention de nuire. Tout est toujours dit sur le ton de l’humour, de manière parfois abrupte, comme un enfant pourrait le dire. C’est pour cette raison qu’on ne travaille pas vraiment sur des personnages, en gardant ce côté naturel, pour « jouer à jouer à » nous dit Léa Pohlhammer. Ce à quoi Pierre Mifsud réagit en nous disant que c’est une forme de liberté de citation.
Un travail de longue haleine
Pour construire ce troisième épisode de La Collection, chacun·e a amené des photos ou des diapositives souvenirs. Pour Pierre, il s’agissait de diapositives qu’il n’avait pas vues depuis longtemps, faute d’appareil permettant de les visionner. Catherine, quant à elle, s’est appuyée sur les albums-photos de voyages que ses ami·e·s ont concocté au fil des ans. Enfin, Léa a récupéré les nombreuses enveloppes contenant des photos, du côté de sa mère. Pierre nous confie d’ailleurs à ce moment-là avoir ressenti ce qui se passait sur ces images comme un quotidien ailleurs. Si les photos ont été prises en Amérique du Sud, elles n’ont rien d’extraordinaire ou d’exotique, mais témoignent plutôt des années de vie dans cette région. Cette dimension a d’ailleurs inspiré le propos du spectacle, à travers des « images déceptives », avec un temps parfois brumeux, ou des photos mal cadrées.
À partir de ce matériau de départ, iels ont fait leur casting, en imaginant qui étaient les personnes sur les photos, et notamment les parents des protagonistes, qui sont, ou non, ceux des comédien·ne·s. Iels ont ainsi pu inventer un nouveau rapport aux photographies et aux personnages. À travers cela, et en construisant l’intrigue, iels ont dû faire une sélection parmi les nombreuses photos apportées. Des liens, affectifs bien que fictifs, se sont ainsi créés petit à petit, avec l’imagination d’une fiction à partir d’éléments bien réels. D’où une certaine tension entre réalité et fiction.
Il faut dire que c’est ainsi que le collectif BPM a l’habitude de travailler : on échange des souvenirs, on s’appuie sur la porosité entre les vies des un·e·s et des autres, ce qui conduit à l’écriture. On puise dès lors dans différentes sources d’inspiration, ce qui donne au montage final une dimension tout à fait improbable. Avec la constellation d’éléments mis ensemble, tout est toujours inattendu. Le public peut ainsi se faire une idée du spectacle, mais ne peut jamais s’attendre complètement à ce qu’il va voir. L’écriture du collectif s’appuie donc sur des anecdotes ou des éléments de vécu. Si cela ne s’avère pas efficace sur scène, alors iels partent sur une autre source. À force de travailler ensemble, iels voient vite ce qui peut marcher ou non sur le plateau, ou dans l’assemblage avec le reste.
Pour ce troisième épisode de La Collection, une nouvelle contrainte s’est toutefois ajoutée, avec la présence de l’image. Quelle sélection faire alors pour ne pas perdre les spectateur·ice·s et garder leur imaginaire intact ? L’image jouera le rôle de contrepoint ou d’amorce, d’où un choix de photos sur lesquelles il n’y a pas trop d’éléments, afin de laisser le public s’imaginer des choses. Ces photos banales, modestes et sans prétention doivent ainsi révéler tout un monde et donner une certaine épaisseur, une sorte de rêve. Le collectif BPM nous invite ainsi à un véritable tour du monde, à travers les photos et les histoires qui seront racontées. Leur leitmotiv ? Fantasmer à partir du banal de cette soirée diapo, en magnifiant le passé et les souvenirs.
C’est aussi ce qui fait la beauté de La Collection : on fait remonter des souvenirs, les spectateur·ice·s échangent des anecdotes, des souvenirs, que le spectacle leur a inspirés. Tous les âges font d’ailleurs des liens ! Pour cela, le collectif BPM tient aussi à remercier le travail d’administration de production de Stéphane Frein, qui permet de toucher de nombreux publics. Et nous laisserons le mot de la fin à Pierre Mifsud, qui nous confie que ce qu’il apprécie aussi dans la diversité de ces publics, c’est que « les jeunes aiment voir des vieux qui font les cons ! »
Fabien Imhof
Infos pratiques :
La Collection – la soirée diapo et le roman photo, par le collectif BPM, du 3 au 14 décembre 2024 à la Maison Saint-Gervais.
Écriture, conception et interprétation : Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Mifsud
https://saintgervais.ch/spectacle/la-collection-4/
Photos : ©Matthieu Croizier