Les réverbères : arts vivants

La danse et la voix comme appropriation de soi

À l’ADC les étudiant·e·s du Bachelor en danse contemporaine de la Manufacture présentent leur spectacle de sortie. Une ode au corps, à la voix et à la singularité. Le spectacle était à voir les 7 et 8 juin.

« La culture, figure première de lAltérité (Autre), ne vit que par la transmission qui passe par tout un chacun… » [1]  

Tout commence dans le noir absolu et quelques borborygmes chuchotés. Puis les parois se parent de rectangles oblongs lumineux, comme des vitraux qui illumineraient la nef d’une église.

Une évocation du sacré, mais lequel ? Sans doute un sacré d’une forme très particulière dont  les contours vont se définir au cours d’une chorégraphie mêlant les corps  et les voix dans ce que, par moments, elles ont de plus intime. Un sacré qui est celui de l’être et de sa singularité.

Une escouade de jeunes danseuses et danseurs forment un groupe homogène, cependant tou·te·s vêtus d’habits qu’ils auraient pu choisir dans leur garde-robe personnelle, sans doute pour affirmer la personnalité de chacun·e.

D’abord soudés, iels prennent petit à petit possession de l’espace. Comme des électrons libres chacun·e évolue avec sa propre énergie, avec des enchaînements fluides, pour certains parfois périlleux. Chacun·e raconte sa propre histoire intérieure avec son corps, sa voix et son système de valeurs interne.  Avec une  idiosyncrasie propre à chacun·e, iels expriment joie, angoisse,  colère, tristesse. Les sons, parfois chantés, parfois parlés dans une langue ou dans une autre, parfois peut-être inventée, captivent l’attention du spectateur. Alors que l’on croit reconnaître un mot, une phrase qui ferait sens, tout se brouille très vite et l’on reste avec la certitude que le sens n’est certainement pas dans la sémantique mais dans ce que les sons produits évoquent dans leur étrangeté, leur hésitation, leur répétition et leur approximation.

Ce qui, décrit comme cela, pourrait faire penser à une cacophonie gestuelle et sonore n’en est justement pas une.  Ici,  par un phénomène contraire à l’entropie, où l’ordre initial devient désordre et tend vers le chaos où la perte d’énergie devient irréversible, les énergies se libèrent mais ne se dispersent pas. Elles semblent s’interpeller, se fondre l’une dans l’autre pour créer une forme de synergie créatrice où rien n’est figé. C’est entre autres en cela que réside la force de la chorégraphie d’Alma Söderberg (Lauréate du Thalia Prize et actuellement artiste associée à la compagnie de danse contemporaine Cullberg). En effet, malgré le désordre apparent et une absence volontaire d’unisson, les performeur·se·s évoluent pourtant dans un temps et un tempo commun. L’unité est ailleurs : dans une chorégraphie protéiforme où on ne cultive pas le «même » mais la différence et la singularité.

Des diablotins azimutés

La deuxième partie du spectacle, mise en scène par Salva Sanchis (danseur, chorégraphe et professeur de danse) est une autre paire de manches. À l’occasion du centenaire de l’œuvre de Stravinsky, le chorégraphe espagnol propose une partition chorégraphique des Noces, inspirée par les thèmes et les énergies de cette œuvre relatant un mariage paysan. Les danseuses et danseurs surgissent sur la scène dans une lumière peu travaillée.  La musique de Stravinsky densifie l’espace. De noir vêtu·e·s, une partie du vêtement en tulle transparent, iels se livrent à une danse effrénée ce qui après la première performance relève du tour de force ! Dispersé·e·s, allant chacun·e son chemin, de figure en figure dans un interminable enchaînement, le propos semble absent. La vie et l’esprit qui animaient les danseuses et les danseurs dans la première partie se sont envolés. Iels parviennent à une très bonne exécution de la commande mais sans l’extraordinaire supplément d’âme qui les animait dans la première partie.

Si la chorégraphie d’Alma Söderberg fédère et enthousiasme avec un propos fort et cohérent, auquel les danseuses et danseurs de la Haute école de danse contemporaine répondent corps et âme, le deuxième opus semble lui se focaliser sur une performance physique per se, un mouvement pur et non figuratif, où les intentions de Salva Sanchis  semblent se dissoudre.

Katia Baltera

Infos pratiques :

Pièce d’ensemble et Les Noces, par La Manufacture, les 7 et 8 juin  à l’ADC

Chorégraphie:

Pièce d’ensemble : Alma Söderberg

Les Noces : Salva Sanchis

Avec les étudiants-es du Bachelor en Contemporary Dance de La Manufacture

https://www.manufacture.ch

https://pavillon-adc.ch/spectacle/la-manufacture-2023/

Photos : © Anna Bosch

[1] Joseph Rouzel in Anthropie 

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