Les réverbères : arts vivants

La Femme de ma vie : une pièce réelle dans une salle virtuelle

Alors que la plus grande incertitude plane sur le monde culturel, certains explorent les nouvelles contraintes qui s’offrent à eux, les mobilisent afin que naissent de ces difficultés, un spectacle magnifique : La femme de ma vie, interprété sur Zoom par Robert Plagnol tous les jeudis, vendredis et samedis, à 19h, jusqu’à réouverture des théâtres. Le théâtre est mort, vive le théâtre !

Un lien, une heure à laquelle se connecter sur l’interface Zoom et, en toile de fond, une pensée un peu réac’ « alors c’est ça, maintenant, le théâtre ? ». On doute un peu que la performance soit aussi bien qu’en vrai.

Une fois dans la salle de spectacle virtuelle, l’écran se constelle de ces petites cases, familières aux amateurs et amatrices des rendez-vous Zoom, des vraies fenêtres ouvertes sur l’intérieur des spectateurs connectés. Certains, plus pudiques, ont coupé leur caméra et leur micro. Mais plusieurs d’entre nous se parlent : d’où venez-vous ? Montréal, waouw ! On rêve d’aller là-bas. Nous on vient de Bretagne. Quel temps il fait, à Montréal ? La conversation prend, on parle de Montréal, de la Bretagne, des stades de déconfinement respectifs. Quand quelques spectateurs trinquent, d’autres sont plutôt à la pause-café, parce qu’à Montréal, il est 13h. Une nouvelle arrivante interrompt l’échange : excusez-moi, on est bien sur le Zoom pour la pièce ? C’est vrai qu’on se croirait presque à des retrouvailles de vieux amis ! Des rires fusent de toutes les cases : oui oui, c’est ici ! On fait le spectacle nous-mêmes haha. En un sens, ce n’est pas faux, un autre genre de spectacle a commencé, celui d’une convivialité nouvelle, étonnante mais sincère. L’essence du théâtre n’est donc pas anesthésiée, ici.

Quelques secondes avant le début de la pièce, micro et caméra sont coupées. Ça commence.

Un récit sans fard

Franck attend que sa femme revienne et se livre dans un long monologue, à la centaine d’auditeurs et auditrices, par écran interposé. Il raconte ce qui l’a mené à être là, ce soir, dans l’attente du retour de la femme de sa vie. Les émotions n’en sont pas amoindries pour autant. Par leur justesse, leur force, elles emportent mêmes les plus récalcitrants des spectateurs, ceux qui ne croyaient pas vraiment à cette pièce Zoom et qui étaient là bon gré mal gré.

La lassitude d’une vie sans répit se lit sur le visage de Franck. Son dégoût pour les démonstrations de supériorité ridicules est sans appel, et à en croire le récit de sa vie, il a été confronté à de nombreuses reprises à la « connerie autoritaire ». Or, ce que Franck demande c’est simplement d’être pris au sérieux et considéré à sa juste valeur. Mais dans les différents boulots qu’il a exercés (vendeur de tapis, traiteur ou chauffeur pour l’entreprise Generosity, à l’heure où il nous parle), il rencontre toujours quelqu’un pour le rabaisser, par égo sans doute. Et Franck ne supporte pas ça, alors il finit toujours par distribuer une ou deux droites pour remettre son interlocuteur à sa place.

Telle est la vie de Franck, jalonnée d’épisodes d’épanouissement lors desquels il se démarque des autres par son travail et son bagout naturel, soudainement interrompus par un patron complexé ou un acolyte qui essaye de le doubler. Mais si Franck a une petite tendance à cogner avant de penser (c’est un conseil de son père), il faut admettre qu’il endosse volontiers sa part de responsabilité dans ses galères. Un homme honnête, entier, sincère, à l’image du témoignage qu’il nous livre, non sans humour.

Une déambulation narrative

Quant à la scénographie, Robert Plagnol est loin de jouer sur Zoom en s’excusant de le faire. C’est une décision qui, bien qu’imposée par les événements actuels, s’assume pleinement. D’abord, cela illustre totalement les appels vidéo, monnaie courante en ces temps confinés mais pas seulement, lors desquels on trimballe notre auditeur ou auditrice dans toute la maison, mangeant, cuisinant, rangeant en même temps que l’on se parle. Ce quotidien que l’on partage avec ceux qui nous sont le plus chers, sans être physiquement là. On découvre ainsi l’intimité de Franck, de la cuisine à la salle de bain, en passant par les toilettes, en même temps qu’il nous raconte des morceaux de vie.

Comme dans la « vraie » vie, à une particularité près. Si, quand on appelle sa grand-mère pour lui raconter sa journée on déambule aléatoirement dans notre appartement, les déplacements ici sont significatifs sur le plan narratif. En effet, dès que Franck digresse ou raconte une part de son passé, il se rend dans une autre pièce (cuisine, salle de bain, chambre…) que la pièce principale (son bureau ? son salon ?) dans laquelle il se trouve au début de son récit. Ainsi, quand il s’éloigne de cœur de son propos, de l’histoire qui l’a mené à attendre sa femme ce soir, il s’écarte aussi du centre de son appartement. Des flash-backs géographiquement situés dans l’appartement, quand ils auraient sûrement été teintés d’une lumière particulière lors d’une représentation « classique ». Une réussite.

Joséphine le Maire

Infos pratiques :

La Femme de ma vie, d’Andrew Payne, joué en direct les jeudis, vendredis et samedis, à 19h, sur Zoom (jusqu’à nouvel ordre).

Les places sont à réserver sur le site directautheatre.

Aujourd’hui, le prix pour assister à La Femme de ma vie est de 10 Euros. Les recettes permettront de rémunérer l’auteur (Andrew Payne), l’acteur (Robert Plagnol), le créateur lumière (Laurent Béal), le cadreur et régisseur Zoom (Michel Winogradoff), l’attaché de presse (Guillaume Andreu) et le graphiste (Pascal Lacoste).

Avec Robert Plagnol

Son et cadrage : Michel Winogradoff

Lumière : Laurent Béal

Photos : captures d’écran lors du live

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