Les réverbères : arts vivants

La mère c’est le cœur et qu’importe le reste

Lorsqu’un enfant (ré)clame son appartenance au clan des Prioux, un couple normalement sans progéniture… Casse-tête et brise-cœur familial à s’esclaffer : Momo jusqu’au 27 janvier prochain au Théâtre Alchimic.

Routines

Oh hisse, grande voile dehors, veillez aux remous ! Début des courses au supermarché pour le couple Prioux. Comme de nombreuses familles, il craint qu’un matelot ne disparaisse par-dessus bord après un affrontement soudain, provoqué par une attente aux caisses inattendue ou l’échange arbitraire d’un fromage de longue tradition en faveur d’emmental râpé.

La pièce de Sébastien Thiéry empoigne d’un vif coup les spectateurs, qui, répartis au Nord et au Sud de la scène, ont l’impression d’être témoins de cette scène de ménage, voire complices. En fait, il y a eu irruption, immixtion au sein de leur couple. Ni conquête ou amourette sauvage, bien pire… On s’est introduit chez eux, dans l’espace intime de leur chariot de commissions et on y a placé un paquet de Chocapic, une denrée alimentaire en dehors de leurs coutumes. André, le père, a vu l’ennemi de près, bien trop près du chariot d’ailleurs. Cette explication, pourtant honnête, a le don de titiller la colère de sa compagne, Laurence, à son plus haut point. Et voilà qui suffit à semer la zizanie chez ce couple au quotidien bien réglé et attentionné.

Ce phénomène est soutenu par la présence de très peu d’objets sur scène jouant le rôle de transition d’un espace à l’autre. Un aspirateur, un charriot… Un rien suffit à exprimer la rareté des changements contre la pérennité des habitudes d’une vie contrôlée et simple.

 La maternité : la sérénité retrouvée

André et Laurence ont une belle carrière derrière eux, semblent heureux malgré le désir qu’éprouvait Laurence d’être mère et qui n’a pas pu être honoré. Et pourtant, quel retournement de situation !

Par l’entremise d’insultes plutôt coriaces, d’un humour piquant échangé au rythme de stichomythies, on apprend que l’attaque pirate du supermarché n’était en fait que la participation secrète du fils prodigue à la tâche quotidienne de ses parents. Ses parents ? Patrick, mal-entendant, est convaincu de cette filiation et se tourne vers sa « Momo » tandis qu’il lit l’indifférence et l’incompréhension dans les yeux de son soi-disant père. Qui pourrait bien se montrer souple et chaleureux quand un inconnu vous déclare, sans trembler, qu’il est votre fils et que vous l’ignorez ? Laurence, toutefois, reconnaît Patrick comme son enfant jamais né et ce, sans devoir guetter l’exactitude d’un lien génétique sur un bout de papier. Ce détour gracieux parle du lien indéfectible de la mère à son fils. L’espoir déçu d’être mère s’estompe ainsi peu à peu et allège le cœur de Laurence qui enterre une fois pour toute sa colère, jusque-là signe distinctif de sa personnalité. Patrick, lui, en aurait-il peut-être hérité ?

Un bon cadeau n’arrive jamais seul

Si cette comédie, nominée d’ailleurs trois fois aux Molières en 2016, projette la parentalité sous les projecteurs, elle aborde également le thème houleux des frustrations des jeunes parents. En effet, ni Laurence, ni André ne s’étaient imaginés devoir accueillir, le temps d’une nuit d’amour, la fiancée de Patrick sous leur toit, aveugle, au caractère tout aussi bouledogue que son chien fidèle, portant le nom attachant de « Ferme ta gueule ». Mais, la parentalité, n’est-elle pas ce lien magique prêt à faire fi des premières appréhensions et autres habitudes ?  La pièce est un tourbillon d’émotions, mais garde le cap en ne tombant pas dans le piège des cris et poussées de surprises trop fréquents. On devine alors un habile travail d’improvisation théâtrale en aval et une maîtrise du rythme qui donnent de la profondeur à la pièce, le tout soutenu par la force de conviction rare des comédiens. Avec un coup de coeur pour Thierry Piguet (Popo) et Jacqueline Ricciardi (Momo).

Le metteur en scène Elidan Arzoni nous indique par cette brusque apparition d’un jeune homme se voulant fils que la destinée des Prioux est celle d’un être humain exclu des étreintes familiales et que nous tous – esseulés ou handicapés par la vie – éprouvons, quelque part confiné au cœur de nous-même, ce besoin d’être reconnu. À bon entendeur.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Momo de Sébastien Thiéry du 8 au 27 janvier 2019 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Elidan Arzoni

Avec Paulo Dos Santos, Clea Eden, Thierry Piguet, Jacqueline Ricciardi

https://alchimic.ch/momo/

Photos : © Carole Parodi

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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