Le banc : cinéma

La nuit des rois. Pourvu que l’aube ne pointe pas.

Hasard du calendrier, un jeune homme entre en prison le jour de la lune rouge. Selon la tradition, il devra raconter une histoire toute la nuit pour avoir une chance de rester en vie aux premières lueurs de l’aube. Quelque part entre film carcéral et fable fantastique c’est à une surprenante veille que Philippe Lacôte nous convie dans La nuit des rois.

Pour asseoir son pouvoir face à un clan décidé à l’en déloger, Barbe-Noire (Steve Tientcheu), chef autoproclamé des détenus de la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan), décide de faire du nouvel arrivant (Bakary Koné) son nouveau « roman », autrement dit le nouveau conteur de la prison. Sans préparation, le jeune Roman (ce sera désormais son nom autant que sa fonction) devra captiver ses codétenus avec une histoire suffisamment palpitante pour les maintenir éveillés une nuit durant, sans savoir pour autant quel sort lui sera réservé au petit matin. Aubaine ou malédiction ? À la manière de Shéhérazade ou de Pénélope, le Roman devra ruser pour espérer réussir sa mission.

Tiens ton rang !

Parmi les thèmes exploités par les films carcéraux, celui des rapports hiérarchiques tient généralement une place de choix, si pas la place d’honneur.
Dans l’Expérience (2001), Hirschbiegel mettait en lumière les rapports de force et de soumission entre gardiens et détenus sans oublier d’adresser une virulente critique à la nature humaine lorsque celle-ci est investie d’un soudain pouvoir. Avec Un prophète (2009), Jacques Audiard illustrait à quel point le fonctionnement interne d’une prison pouvait être soumis au bon vouloir d’un seul détenu. Véritables microcosmes, les prisons au cinéma se font souvent le miroir grossissant d’une arène où il faut se lever de bonne heure pour y trouver sa place.
La nuit des rois n’échappe pas à la règle. Course au pouvoir, guerres de territoires, corruption, mais aussi solidarité, entraide et espoirs, le film se fait l’écho des éléments habituels du genre. Et c’est en partant du bas de l’échelle, à travers le regard d’un jeune pickpocket tout juste débarqué, qu’on découvrira les rouages de la prison. Et pas de n’importe laquelle s’il vous plaît ! Existant réellement, dans une jungle en marge de la capitale ivoirienne, la MACA a l’inquiétante particularité d’être autogérée par les détenus. Étant aussi l’un des plus peuplés de l’Afrique de l’Ouest, le pénitencier avait de quoi inspirer une fiction au réalisateur franco-ivoirien, originaire d’Abidjan. Chez Lacôte, la MACA prend la forme d’un royaume autoritaire, avec un roi, sa cour, son fou et ses valets. Et comme dans toute société, le royaume a ses codes. Prêter allégeance au puissant Barbe-Noire étant le premier. Mais qui dit pouvoir, dit risque d’insurrection…

Glissement

Au delà de ce qu’il raconte de la structure du monde carcéral, La nuit des rois se distingue plutôt par le contraste entre son caractère réaliste et fantastique. L’histoire que le Roman choisit de raconter est celle de Zama King, un caïd du quartier dans lequel il a grandi. Partant de ses souvenirs personnels, il se met à raconter des événements factuels, tels des rixes et des descentes de police. Au fur et à mesure de la nuit, il mêlera des légendes à son récit, l’agrémentant notamment de l’épopée d’un couple royal semblant sorti tout droit d’une fable sacrée. S’y ajouteront des flammes, des serpents et un éléphant mutant, autant de digressions qui donneront une allure mythique à son récit qui glissera progressivement vers le conte.
Le fil narratif du film n’est pas sans rappeler L’Odyssée de Pi (Ang Lee, 2012) où, à défaut d’une véritable prison, les personnages étaient prisonniers d’une embarcation à la dérive. La narration de leur périple était sublimée à l’écran par des scènes grandioses à la fois magiques et poétiques. À son tour, Lacôte recourt à l’imaginaire fantastique pour décrire les effets libérateurs de la pensée. Des chants sacrés, des danses et des scènes de transe transformeront la prison le temps d’une nuit en un théâtre dans lequel les détenus ne se sentiront plus comme des prisonniers mais comme des hommes libres. On relèvera le choix des lumières, chaudes et tamisées. Éclairés à la lampe à pétrole, les visages des détenus prennent une intensité rare. Et puis le sentiment d’étouffement lié à la surpopulation et à la chaleur est transmis de façon tout à fait remarquable par une succession de plans rapprochés accentuant davantage le caractère restreint de l’espace.

L’inconvénient de ce récit improvisé est qu’il est ponctué d’allers-retours temporels dont le rendu désorganisé risque de faire perdre par moments le fil aux détenus, tout comme au spectateur. Cette narration décousue donne l’impression d’une volonté de raconter à tout prix de quoi meubler le temps, quitte à manquer de cohérence. En ce sens, le récit perd en qualité et c’est dommage.

Le film divisera probablement sur le casting (excellent Koné mais certains rôles secondaires s’avèrent moins convaincants) et d’aucuns tiqueront sur la présence d’un personnage stéréotypé, celui du gentil fou (incarné par Denis Lavant), qui se balade en longeant les murs une poule sur l’épaule. Quelques réserves donc mais La nuit des rois, dont le titre évoque inévitablement l’univers théâtral de Shakespeare, n’en reste pas moins un film carcéral innovant par son glissement progressif du réalisme au fantastique.
La fin, inattendue, risque d’être l’élément qui posera le plus de questions. On ressort de la MACA soulagé de ne pas y être entré pour de vrai et chargé de chants qui résonneront plusieurs heures après le film.

Valentine Matter

Référence :

La nuit des rois, de Philippe Lacôte, avec Bakary Koné, Steve Tientcheu, Issaka Sawadogo,… 93 minutes. (Sortie en salles le 1er septembre 2021)

Photos : © DR

Valentine Matter

Cinéphile éprise du genre documentaire, Valentine n’en apprécie pas moins la fiction et ne résiste certainement pas aux comédies grinçantes. Sa formation de psychologue entre plus volontiers en résonance avec les personnages lorsqu’ils sont complexes et évolutifs.

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