Les réverbères : arts vivants

La résilience d’une mère

Tiré d’un sordide fait divers survenu en 2011, Je crois que dehors c’est le printemps est un seule-en-scène narrant le parcours d’une mère, de la genèse du drame à sa reconstruction intérieure. Une bouleversante leçon de résilience, magistralement interprétée par Gaia Saitta, à l’Usine à Gaz les 5 et 6 septembre.

3 février 2011 : Mathias, père des jumelles Alessia et Livia est retrouvé mort. Un suicide. Les deux fillettes, elles, ne seront jamais retrouvées. Irina Lucidi, leur mère, se bat pour les retrouver, même quand la police baisse les bras et veut classer l’affaire. Giorgio Barberio Corsetti et Gaia Saitta s’emparent de cette histoire pour narrer le parcours de cette mère, interprétée par Gaia Saitta, seule sur la scène. Elle retrace la rencontre d’Irina et Mathias, leur amour, la douceur des débuts, puis la thérapie de couple, le changement d’attitude du mari, sa disparition et celle des deux filles, l’enquête qui s’en est suivie, les relations avec la famille, la douleur, le deuil, jusqu’à la reconstruction nécessaire…

Toutes les émotions y passent

Durant la majeure partie du spectacle, nous sommes partagé·e·s entre l’envie de pleurer et celle de vomir. Pleurer d’abord, car l’histoire qui nous est racontée, dans toute sa simplicité et sa froideur, est bouleversante : celle d’une mère qui a perdu ses filles, sans pouvoir le comprendre. On notera d’ailleurs l’impressionnante tirade, en fin de spectacle, expliquant qu’il n’y a pas de mot, dans nos langues, pour désigner la perte d’un enfant. Comme si on avait voulu occulter cette douleur insoutenable. On suit donc cette mère qui ne ressent même plus la présence de ses filles sur Terre, mais se force à y croire, tant qu’on ne les aura pas retrouvées, pour ne pas les abandonner. Tout simplement parce qu’elle est une mère. C’est ensuite l’envie de vomir qui prend le dessus. D’abord, à cause de l’attitude de Mathias, qui commence à vouloir tout contrôler avec ses post-it partout – qu’on retrouve d’ailleurs subtilement dans la scénographie de Giuliana Rienzi – comme s’il ne faisait plus confiance à son épouse, pourtant mère aimante et exemplaire. Mais il y a aussi tout ce qui les entoure, à commencer par les figures d’autorité : la psy qui minimise les réactions d’Irina, la police qui ne semble pas faire tous les efforts pour comprendre la vérité. Seule la juge, humaine et à l’écoute, semble sortir du lot. Sans oublier non plus l’entourage de Gaia, qui juge le fait qu’Irina se reconstruise, parte en vacances avec un autre homme, des années après le drame, comme si elle n’avait plus jamais le droit de vivre. Seule une amie la soutiendra et se montrera heureuse pour elle.

Pourtant, le sentiment qui prédomine en sortant de la salle n’est autre que celui de l’espoir, avec ce sourire qui se dessine malgré nous sur nos lèvres et qu’on ne peut s’empêcher d’avoir. Parce que, justement, Irina a recommencé à vivre. On se remémore alors toute la symbolique de l’eau, qui se dessine en filigrane durant toute la représentation. Ce rêve qu’a toujours eu Irina de plonger et d’explorer la mer, d’en entrevoir les profondeurs, là où, étonnamment, rien n’est jamais complètement noir. Même quand on est au plus bas. On se rappelle alors qu’Alessia et Livia ont sans doute disparu en mer, vraisemblablement noyées. Alors, l’image finale des baleines à bosse, symboles de la reconstruction d’Irina, qui est allée les voir en Amérique du Sud avec son nouveau compagnon, prennent un tout autre sens. Comme si les filles étaient toujours là pour veiller sur leur mère et valider cet espoir d’une seconde vie, dans une touchante inversion des rôles.

Pas si seule

Lorsqu’on dit que Je crois que dehors c’est le printemps est un seule-en-scène, cela n’est pas tout à fait vrai. Avant le début de la représentation, Gaia Saitta prend à part certains membres du public, en leur demandant de l’aider ce soir. Iels prennent alors place sur les chaises disposées autour de la scène, pour incarner différents personnages : la nonna, la juge, la psy, un policier, une amie, Luis, ce nouvel amoureux si parfait… seul Mathias ne sera jamais convoqué directement. Chacun de ses personnages est filmé en gros plan, et son visage diffusé sur l’un des deux écrans en fond de scène. Ces deux écrans, d’ailleurs, qui semblent finalement n’en être qu’un seul, fractionné, à l’image du vide qui restera toujours dans le cœur d’Irina.

La présence de ces personnages donne dès lors toute sa dimension vivante au spectacle. Car Je crois que dehors c’est le printemps est tout sauf une longue complainte, malgré l’horreur des faits qui y sont racontés. C’est une ode à la vie, à la résilience, à la reconstruction de cette mère qu’on peut sans aucun doute qualifier d’héroïque. La présence des spectateur·ice·s sur la scène permet un échange aussi, avec quelques répliques qui leur sont soufflées, créant un partage d’émotions encore plus important. Le passé et l’enquête plus ou moins avortée laissent alors la place aux projections sur l’avenir et à l’espoir que cela inspire. Qu’importe, finalement, si cette partie est vraie ou non. On en retient surtout la dimension cathartique et symbolique. Non pas uniquement pour cette mère qui a su se relever, mais aussi pour Gaia Saitta. On sent la comédienne particulièrement touchée, notamment lorsqu’elle raconte sa rencontre avec Irina. Comme si cette histoire, pourtant si unique et tragique, avait une dimension universelle, pour toutes les mères. On note, d’ailleurs, cette magnifique phrase prononcée par Irina à l’attention de Gaia : « Pas besoin d’avoir d’enfant pour être mère ». Puis, quand, après les applaudissements, Gaia nous confie qu’elle est devenue mère il y a 2 ans, le 7 octobre 2022, soit la même date d’anniversaire qu’Alessia et Livia, on se dit que la symbolique est d’autant plus belle. Comme elles, malgré les difficultés et la tragédie, on a envie de croire que dehors c’est le printemps.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Je crois que dehors c’est le printemps, de Gaia Saitta et Giorgio Barberio Corsetti, les 5 et 6 septembre 2024 à l’Usine à Gaz de Nyon.

Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti et Gaia Saitta

Avec Gaia Saitta

https://usineagaz.ch/event/je-crois-que-dehors-cest-le-printemps/

Photos : ©Chiara Pasqualin

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *