La tête dans les étoiles
Pour débuter l’année 2022, la Traverse accueille la Cie Sixième Art et son spectacle Quand je serai grand. Une fable poético-philosophique qui nous invite à toujours croire en nos rêves, par-delà les obstacles. Un spectacle qui parle aussi du handicap, à voir jusqu’au 23 janvier.
En entrant dans la salle récemment inaugurée de la Traverse, au sein de la maison de quartier des Pâquis, on est d’abord impressionné par le décor. Sur la scène se côtoient trois espaces : une cuisine toute aménagée, une chambre avec un lit et un bureau, et un garage, avec la moitié d’une mythique 4L. C’est dans ce milieu qu’évolue Didier, 50 ans et handicapé mental. Né le jour où Neil Armstrong a posé le pied sur la lune, il veut depuis toujours devenir astronaute. Alors quand Thomas Pesquet annonce à la télévision que n’importe qui peut accomplir ce rêve, il n’a plus que cette idée en tête. Depuis, un réalisateur tourne un film sur lui, le suivant durant son entraînement, en parallèle de son travail à la ferme. Mais de nombreuses péripéties l’attendent sur le chemin de cet objectif quasi-irréalisable…
Jouer le handicap
Il est risqué de jouer un tel rôle, tant on peut rapidement tomber dans la caricature et créer quelque chose de gênant. Il n’en est rien. Le comédien et metteur en scène Vincent Jacquet propose un jeu plein de douceur et de subtilité, que ce soit dans la gestuelle ou dans la manière de s’exprimer de Didier. On perçoit ainsi le côté enfantin, dû au retard mental de l’homme, sans jamais être mal à l’aise. Pour que la mayonnaise prenne, encore fallait-il que les personnages qu’il côtoie soient à la hauteur. Jean-Jacques Rouvière réussit le tour de force de tous les interpréter, du réalisateur-voyeur à la mère poule, en passant par le directeur du CNES (Centre national d’études spatial) ou encore le cousin Gaby qui l’hébergera un temps. Chaque personnage présente un caractère totalement différent, mais à aucun moment on ne tombe dans le surjeu ou l’exagération. Chacun compose avec le handicap de Didier, sans jamais agir de manière méprisante ou débilitante. Même lorsque Gaby se montrera un peu rude avec lui, c’est toujours la bienveillance qui prime et cela marque. Toutes et tous tentent de soutenir Didier au mieux, tout en étant conscient·e de ses limites. C’est qu’il est touchant Didier, avec sa casquette verte sur sa tête, ses attitudes enfantines et sa motivation sans faille. Alors, personne n’a envie de briser ses rêves, tant il y croit dur comme fer.
Questionner notre regard
Au-delà du handicap lui-même, c’est le regard qu’on y porte qui est mis en question dans Quand je serai grand. Le côté ultra-protecteur de la maman s’oppose ainsi à l’attitude proche du voyeurisme du réalisateur. Ce dernier choisit souvent de ne pas agir, de laisser faire Didier, quitte à ce que ce dernier se prenne les pieds dans le plat, parfois littéralement. Tout au long du spectacle, son rôle est ambigu : sa démarche est-elle sincère ou n’est-il attiré que par l’intérêt de ce projet de film qui va lui rapporter gros ? Narrateur de certains moments de la pièce, il justifie toujours sa passivité par sa volonté de laisser Didier croire en ses rêves et ne pas interférer dans sa vie. Car l’homme a bien vite oublié la présence de la caméra et agit comme si celle-ci n’existait pas. Et alors qu’il est le seul à être au courant de l’entraînement de Didier – sa mère croit encore naïvement que son fils ne fait que travailler à la ferme – il continuera de l’encourager dans cette voie qu’il sait pourtant sans issue pour lui. Jusqu’à quel point cette manière de faire est-elle la bonne ? La réponse se trouve sans doute dans la dernière partie de la pièce, où le réalisateur définira Didier comme étant son ami. Quant à savoir dans quel contexte il prononce ces mots, on vous laissera le soin de le découvrir…
Quand je serai grand, c’est une fable poétique d’abord, parce qu’on y suit le parcours de Didier avec beaucoup de douceur et de métaphore de la vie ; philosophique ensuite, car elle nous enjoint à renouer avec certaines valeurs. Et cela finit bien, évidemment. Mais les aventures, parfois difficiles, que vit Didier, ainsi que toutes les rencontres qu’il fait, nous invitent nous questionner et à nous montrer, toutes et tous, plus bienveillants. Non seulement envers les personnes en situation de handicap, mais aussi de manière générale. Elle nous invite aussi à nous dépasser, aller plus loin que nos limites (et comme l’on pense avec des œillères parfois !), comme l’a fait Didier. C’est sans doute cette leçon que je retiens à la sortie de ce touchant spectacle.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Quand je serai grand, adapté du film éponyme de Florent Tixier, du 8 au 23 janvier 2022 à La Traverse.
Mise en scène : Vincent Jacquet
Avec Vincent Jacquet et Jean-Jacques Rouvière
https://www.sixieme-art.ch/quand-je-serai-grand
Photos : © Cie Sixième Art