Les réverbères : arts vivants

L’ailleurs chez les enfants

Robe de taffetas et fraise du 16e siècle, forte de plis soignés : Julie Cloux et Christian Scheidt font la part belle à la poésie de Gertrude Stein dans Le Monde est rond. C’était du 6 au 15 décembre au Théâtre Saint-Gervais.

Il y a Rose en rose et Willie. Oui, lui qui l’écoute et la cherche entre les lianes. Ces deux enfants furètent, sillonnent le cocon qui les abrite : la forêt. Sur scène se construit rapidement une sphère douillette et mystérieuse, propre aux livres pour enfants. Tous droits sortis de l’ouvrage de Gertrude Stein – elle qui animait un salon parisien aux côtés des Cubistes au tournant du XIXe siècle –, Willie et Rose tracent leur chemin et gravent « a rose is a rose is a rose » sur un arbre. La nature a l’air immense et regorge, sans aucun doute, de mille trésors, bruits et impressions.

Le procédé scénique est pertinent: un écran, sur lequel sont projetés des forêts, des prés ou des cimes, sépare l’univers des deux enfants en deux : la fiction et leurs rêves en arrière-plan, souvent teints de rose ; le monde dans lequel ils s’adressent au public et livrent leurs tribulations à l’avant-scène – tous deux mis en valeur par des douches de lumière. L’introduction dans le conte a beau être très, voire trop longue, on salue cette poésie de l’espace : les costumes princiers rappellent les tenues tant chéries des enfants au carnaval, leur conférant alors un statut de sages nobles malgré la jeunesse de leurs expériences. Et Rose n’est pas une princesse comme les autres. Sa coiffure est dépareillée, flamboyante de surcroît. Son regard n’est pas doux, mais perspicace. Elle donne à réfléchir sur nos attentes d’enfant parfait.

Comme pour entrer dans la ronde de l’enfance, les deux comédiens interprètent de nombreuses comptines, plutôt curieuses et dérangeantes – à l’image d’un enfant qui fredonnerait de façon absente. Et voici que Rose se montre soudainement sur l’écran, la main caressant les flancs de chevaux ou les cheveux défaits surplombant le vide. Le caractère flou de ces apparitions arbitraires, tel un poncif de la poésie, dérange puisqu’il implique de trop la réflexion du spectateur, dans sa capacité à tisser des liens entre les choses vues sur scène.

Le passage dans ce monde est toutefois bien mesuré et nous ouvre, le temps d’une soirée, une bulle de rêve. On espère que ce dernier sera plus appuyé pour une prochaine fois, comme pour adresser un clin d’œil malin à Gertrude Stein, rassembleuse des rêveurs désorientés et fondatrice du mouvement de la Lost Generation.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques : 

Le Monde est rond d’après Gertrude Stein, du 06 au 15 décembre 2019 au Théâtre Saint-Gervais.

Mise en scène : Eveline Murenbeeld

Avec : Julie Cloux et Christian Scheidt

https://saintgervais.ch/spectacle/le-monde-est-rond/

Photo : © Isabelle Meister

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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