L’amour à la poubelle ?
Dans sa nouvelle création, entre clown, stand-up et danse, Sophie Ammann explore les ruptures et déboires amoureux, avec humour et sensibilité. Crâmée, c’est au Théâtre de l’Étincelle ce soir encore !
Tout commence à la sortie d’une boîte de nuit : deux mains dépassent de la poubelle dans laquelle vit Crâmée. Tout en mimes, elles racontent la rencontre, la nuit, l’homme qui part au matin alors qu’elle s’était attachée. Mais, fière, elle ne veut pas montrer qu’elle est triste. Pour elle, il était simplement intimidé. Le schéma classique, en somme. En sortant de sa poubelle, Crâmée cherchera l’amour par tous les moyens. Elle, cette grande romantique si souvent déçue, continuera d’évoluer de déception en déception, mais parviendra toujours à se relever. Avec l’espoir qu’un jour, elle trouvera enfin le bon !
Du clown au stand-up
Le début du spectacle, avec ces mimes, est hilarant. À grands renforts de musique, et notamment le fameux Careless Whisper de George Michael et son sulfureux saxophone, on comprend beaucoup de la veine dans laquelle ce spectacle va se situer. On se demande rapidement s’il s’agira d’un spectacle de clown, muet, avec toutes les expressions que cela comprend. L’interrogation perdure lorsque Crâmée sort de sa poubelle, avec son costume clownesque : perruque (chut, c’est un secret !) noire bouclée et courte, maillot de foot écossais trop grand, jupe blanche à volants, genouillères et baskets. Au clown, donc, Crâmée emprunte beaucoup. On évoquera d’abord la poubelle dans laquelle elle vit et qui constitue l’un des grands ressorts comique du spectacle : qu’elle y plonge tête la première, les jambes dans le vide, pour aller chercher un objet ; qu’elle s’y cache et s’y retrouve coincée ; ou encore la jolie allusion à Mary Poppins, avec ce nombre incalculable d’objets qu’elle en sort : téléphone, journal, bouteilles de vin, verre, cigarettes… et même une grosse surprise à la fin ! Plusieurs scènes viennent également s’inscrire dans cette veine clownesque : on pense au long playback composé d’une playlist de chansons d’amour les plus connues (Je te promets, Ne me quitte pas, I will always love you…), mais aussi aux moments dansés. Sophie Ammann revient alors à ses premières amours, mais avec une dimension comique nouvelle !
Mais Crâmée ne prend pas que cette forme-là ! Car le personnage s’exprime aussi beaucoup, et interagit avec le public, façon stand-up, avec une grande part d’improvisation. Il y est question d’amour, d’astrologie, avec des commentaires sur les prénoms et les signes astrologiques. Crâmée n’a pas vraiment de filtre, et elle se montre parfois très directe, comme lorsqu’elle appelle cet homme d’un certain âge « Daddy », avec des regards tout à fait suggestifs. Un moment qui a provoqué l’hilarité de la salle. Avec ses techniques de drague et sa maladresse incroyable, elle apporte une part d’improvisation qui donne une toute autre dimension au spectacle, avec un axe comique encore différent du premier.
Parler d’amour
Derrière la forme très réussie, il y a aussi du fond, qu’on ne s’y trompe pas ! L’amour et les ruptures pourraient paraître être un thème déjà vu et revu. Pourtant, avec l’angle de l’humour, Crâmée parvient à donner une nouvelle dimension à ces idées. Sans prendre un parti anti-amour, façon « Tous des salauds ! », ou, au contraire, tomber dans une plainte totalement geignarde, Crâmée amène plutôt une forme de naïveté, de candeur : cette volonté de toujours croire en l’amour, tout en étant parfois un peu dans le déni, il ne faut pas se mentir. Tout est ainsi poussé à l’excès, pour le plus grand bien du spectacle. Crâmée va même jusqu’à tenter de séduire le conseiller qu’elle a au téléphone. Il faut dire que celui-ci s’appelle Marcel, comme l’amoureux d’Edith Piaf. C’est forcément un signe !
Car Crâmée, des signes, elle en voit partout, tout le temps. C’est pour cela qu’elle saute sur la moindre occasion qui se présente, pour y croire encore et toujours. Serait-elle amoureuse de l’amour lui-même ? C’est une théorie qui se tient en tout cas ! Quoiqu’il en soit, ce mélange des genres, cette dimension exagérée et parfois grotesque, sont les ingrédients d’un spectacle hilarant, parfois touchant aussi, mais en tous les cas très réussi. Le tout parfaitement exécuté dans les différents arts proposés. Alors, longue vie à Crâmée, et on lui souhaite de trouver chaussure à son pied !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Crâmée, de Sophie Ammann, au Théâtre de l’Étincelle – Maison de Quartier de la Jonction, du 27 au 30 novembre 2024.
Mise en scène : Pauline Raineri
Avec Sophie Ammann
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Photo : ©Aline Zandona
Vidéo: ©Tacky Productions