Les réverbères : arts vivants

Latifa Djerbi sublime la solitude à l’Alchimic

Sur la scène du Théâtre Alchimic, dans un joli intérieur aux couleurs pastel, Latifa Djerbi incarne Une femme seule. Dans ce spectacle de Dario Fo et Franca Rame, elle signe une splendide performance, pour tendre un joli pied de nez au patriarcat, avec humour et décalage comique.

C’est l’histoire d’une femme, dont on ne connaît pas le nom. Tout ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle est enfermée dans son appartement par son mari, qui ne la laisse pas sortir, après qu’elle a commis un adultère. Il veut faire en sorte « de la protéger » lui a-t-il dit. Dans cet intérieur, la voilà coincée avec son beau-frère en fauteuil et dont le corps est entièrement plâtré suite à un accident, et avec son bébé. On évoquera encore le « cochon téléphonique » qui l’appelle pour lui faire des allusions salaces, ou le voyeur qui l’observe aux jumelles depuis un immeuble voisin. Une bouffée d’oxygène survient toutefois, lorsqu’une femme emménage dans l’appartement d’en face. Depuis son balcon, elle lui confie alors tout sur sa vie, sans filtre, son enfermement, qui n’est pas que physique…

Symboliser l’enfermement

Tout commence de manière légère, voire heureuse. Dans son charmant intérieur pastel, une femme fait le ménage en se déhanchant sur le Take on me de A-ha. Le décor rappelle une maison de poupée, ou ces sitcoms des années 80 dans laquelle la femme au foyer parfaite époussette la moindre trace de poussière. C’est qu’elle a l’air d’être heureuse, de prime abord, dans cet archétype. Bien vite se dévoile toute l’ironie de la situation…

Dans l’appartement, tout est trop petit : elle doit se baisser pour passer les portes, la table est minuscule et même la planche à repasser tient à peine dessus. Quant au tabouret, il permet à peine d’être assise et de dépasser un tantinet de la table… Le seul espace à sa taille est le balcon – et encore – là où elle dialogue avec sa voisine. Comme un symbole du seul endroit par lequel elle peut un tant soit peu s’évader.

Cet enfermement, s’il s’exprime bien sur le plan du décor – l’appartement n’occupe de plus pas tout l’espace scénique – est aussi bien retranscrit dans le fond de la pièce. Ainsi, cette femme laisse tourner la musique ou la télévision dans toutes les pièces, pour avoir constamment une présence avec elle. Car même si elle n’est pas véritablement seule, c’est tout comme : le bébé ne fait que dormir et le beau-frère ne communique que par une trompette qu’il active avec sa main encore valide. Alors, dans ce décor, elle est la seule à parler. Personne ne lui répond, pas même la femme avec qui elle discute. Les autres ne s’expriment que par son, onomatopée, ou cris. Tout est ainsi figuré par elle, à travers elle et ses propos. Et même son jeune amant, sensé venir la libérer, ne l’aidera pas vraiment à sortir de sa condition…

Une porte de sortie

Car oui, son jeune et fougueux amant, totalement épris d’amour pour elle, cherche à forcer la porte pour la libérer. Bien vite, cependant, elle comprend qu’elle ne sera pas libre en partant avec lui : comme tous les autres, il veut la posséder. Comme un pied-de-nez au patriarcat, elle fera tout pour ne pas partir avec lui et trouver un autre moyen de s’en sortir…

C’est donc par la parole qu’elle se libère : le public prend le rôle de la femme à qui elle s’adresse. On devient une oreille attentive, sans jugement aucun. Elle déballe tout, sans aucun filtre, et semble prendre confiance en elle. En se libérant par les mots, ce sont ses chaînes imaginaires qu’elle brise, pour s’émanciper et enfin oser à l’encontre de tout ce qu’on lui impose. Le tout dans une montée en puissance progressive du spectacle, jusqu’au climax qu’on ne dévoilera pas ici…

Avec beaucoup d’humour, sans revendication ou réflexion profonde, Latifa Djerbi sublime la solitude, pour tenter de s’en sortir. Ce n’est pas la solitude en tant que telle qu’elle exècre, mais bien le fait qu’on la force à vivre dans cet état-là. Et ses mots, crus, décalés et plein d’ironie, l’aideront à s’en sortir. Une femme seule, un vrai moment de réflexion à travers l’humour. Un texte comme Dario Fo et Franca Rame savent si bien les écrire, et une comédienne qui incarne parfaitement ce personnage complexe !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Une femme seule, de Dario Fo et Franca Rame, du 22 mars 12 avril 2022 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Latifa Djerbi et Bartek Sozanski

Avec Latifa Djerbi et Dardan Shabani

https://alchimic.ch/une-femme-seule-2/

Photos : © Bartek Sozanski

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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