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Le carnet maudit : Les mystères du passé

« Combien d’innocents étaient morts mystérieusement dans ces locaux ? Combien de suicides déguisés, de malades électrocutés ou amputés d’une partie de leur cerveau avaient laissé leurs empreintes en ces lieux diaboliques ? Parfois, la réalité est pire que la plus morbide des imaginations. Les théories de tortures et de manipulations diverses se confirmaient. » (p. 242)

La période est propice pour entendre tout et n’importe quoi en matière de théories du complot. Implantations de puces 5G à l’aide du vaccin, monde dominé par des Reptiliens ou autre entité supérieure, manipulation de l’opinion publique… Mais ces théories ne datent pas d’aujourd’hui. C’est, entre autres, ce que montre Élie Hanson dans Le carnet maudit, paru d’abord en 2011 et réédité en 2018 aux Éditions AdA.

Alain, un peintre québécois désabusé tombe sur le journal de son grand-oncle Houde. Ce dernier y relate de troublants événements – totalement ignorés par les livres d’Histoire – dont il aurait été témoin durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était détaché en France au sein d’une troupe québécoise. Il y est question de monstres dévorant des soldats, d’un hôpital psychiatrique pratiquant d’étranges expériences… Alain décide alors de se rendre en France pour découvrir le fin mot de l’Histoire. Il y a trop de zones d’ombres dans cette Histoire…

Avant même d’entrer le roman, l’auteur propose à son lecteur une playlist de 13 titres, principalement des musiques de films, pour accompagner la lecture. Une façon originale d’apporter une ambiance supplémentaire à ce livre déjà très mystérieux. Cela donne envie !

« Diouf m’a raconté, dans son français teinté d’un accent particulièrement fort, qu’il vient de Côte-d’Ivoire. À eux aussi, on a promis monts et merveilles ! Une bonne paie et bel avenir pour leur famille… Et lui, il en a, de la famille : deux femmes et une grappe d’enfants ! Le même discours est donc utilisé partout dans le monde dès qu’il s’agit de recruter des jeunes pour les envoyer affronter les canons ! » (p. 40)

Le carnet maudit, ce sont d’abord deux temporalités qui s’entremêlent. Entre les chapitres narrés à la première personne par Alain, s’intercalent des extraits du journal de son oncle. Si le procédé n’est pas nouveau, il n’en demeure pas moins très bien ficelé. L’histoire de Houde paraît ainsi d’abord assez classique : celle d’un jeune homme recruté et envoyé pour prêter main forte aux soldats alliés face à l’armée allemande, à qui l’on a promis beaucoup de choses et qui déchante très vite. Rapidement, son récit prend une autre tournure, qui explique la présence d’Alain dans un petit village français : Houde a vu des bêtes ressemblant à des goules dévorer certains de ses compagnons… alors qu’elles l’ont épargné, lui. Personne sur le front ne veut le croire, jusqu’à ce qu’on le transfère, sans lui en donner la raison, dans une unité spéciale dont il ne doit pas connaître la mission. En parallèle, les pièces du puzzle se mettent petit à petit en place du côté d’Alain, qui rencontre le fils du psychiatre qui avait suivi son oncle, suite à ce qu’on a pris pour des hallucinations.

Ce qu’il faut retenir de la construction de ce roman, c’est le rapprochement progressif entre les deux histoires (celle du passé et celle du présent), au fur et à mesure que l’enquête avance. Bien sûr, Alain trouve de plus en plus d’informations sur ce qui est vraiment arrivé, mais il n’y a pas que cela. Le rapprochement a lieu également dans les événements, dans les lieux qui sont décrits, comme si l’Histoire se répétait, et c’est sans doute là l’une des grandes forces de ce Carnet maudit qui place le lecteur dans une situation d’angoisse, induite par l’empathie qui naît pour ces personnages. On en vient presque à se demander si les théories farfelues de Robinson, le spécialiste des Reptiliens que rencontre Alain, ne seraient pas si fausses que cela…

« Regardez autour de vous : avez-vous vu les riches, les dignitaires ou toute personne influente pratiquer une religion régulièrement ? La réponse est toujours NON. L’adoration d’un dieu, quel qu’il soit, est laissée au peuple, mais surtout aux pauvres, qui n’ont l’espoir d’une vie meilleure que dans l’au-delà, au paradis ou dans une vie future – qui, en passant, n’existent pas. On leur fait croire des choses, et ils ne demandent pas mieux. Ils n’ont pas d’autre choix, pas d’autre espoir. » (p. 102)

L’aspect le plus intéressant est bien là : Houde est persuadé d’avoir rencontré des monstres, et qu’on cherche à lui faire oublier ces événements. On lui explique d’abord qu’il s’agit d’hallucinations dues aux gaz inhalés pendant la Guerre, et pourtant, on lui opère le cerveau pour lui faire perdre une partie de sa mémoire. La présence de Robinson, intimement convaincu – preuves à l’appui ! – de la présence des Reptiliens dans le monde, qui sacrifieraient une partie de la population humaine pour une cause plus grande, apporte de l’eau au moulin des théories du complot. Qu’on se le dise tout de suite, Robinson ne m’a personnellement pas convaincu. Mais le roman d’Élie Hanson a le mérite de poser des questions et de montrer avec une certaine neutralité le point de vue de ceux qui y croient. En mettant de tels propos dans la bouche de son personnage, on peut choisir de prendre ce dernier pour un illuminé ou de le croire. Alain sera d’ailleurs partagé entre les deux opinions, jusqu’au dénouement final de cette fiction. Quant à savoir quel est le véritable avis de l’auteur sur la question…

« La créature des tranchées avait massacré des compagnons. J’avais trouvé cela effroyable. Mais ce que je voyais par le trou de la serrure dépassait toutes les horreurs… Cette nuit-là, les monstruosités étaient accomplies par des êtres humains. » (p. 256)

Manipulé par des êtres supérieurs ou non, Le carnet maudit dénonce tout de même les atrocités dont l’être humain est capable, notamment au niveau de certaines expérimentations. Il faut bien garder à l’esprit que ce roman est une fiction et ne pas le prendre pour ce qu’il n’est pas. On lui reprochera quelques facilités narratives, notamment lors de l’accès d’Alain au dossier de son oncle, la façon dont il échappe à la sécurité après avoir visité des lieux interdits, ou encore la conclusion de l’histoire dont on pouvait se douter depuis un bon moment déjà. Mais Le carnet maudit demeure un roman très bien ficelé, construit de manière fine et intelligente pour relier les deux temporalités, tout en présentant des théories qu’on qualifie bien souvent d’absurdes, de façon plus neutre. À chacun de se faire sa propre opinion et de choisir comment il veut lire cette histoire…

Fabien Imhof

Référence : Élie Hanson, Le carnet maudit, Canada, Éditions AdA, collection Corbeau, 2018 [2011], 402 p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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