Les réverbères : arts vivants

Le cirque à La julienne

Une production originelle de la compagnie de l’Ourag’enchant’é, Femmes parallèles nous présente une tragédie déguisée en performance de cirque. Quatre femmes nous racontent leur histoire au rythme de l’accordéon, avec un mystérieux homme sans visage qui les accompagne…

Quand je suis arrivée à La julienne, à Plan-les-Ouates, je m’attendais à assister à une pièce de théâtre plus ou moins classique, ambiancée dans un cirque, avec de la musique de fond.

Je ne pouvais pas être plus loin de la réalité. Ou bien ?

En fait, Femmes parallèles est un spectacle de cirque, une comédie musicale et une tragédie, tout en même temps. Comment est-ce possible, vous demandez-vous ? Et surtout, comment est-ce que ça rend tout ensemble ?

Commençons par le cirque : la scène du théâtre est transformée en scène de cirque. On y retrouve les éléments qu’on s’attend à retrouver sous un chapiteau, bien sûr la couleur rouge, les paillettes, la scène circulaire au milieu. Le chapeau haut de forme et le bâton de Madame Loyal, aussi. Visuellement, on est très vite situé·e, la pièce peut commencer.

Puis la comédie musicale : quand on rentre dans la salle, ce n’est pas de la musique sortant d’un haut-parleur que l’on entend, ce sont deux des personnages qui jouent. L’une d’elles l’accordéon, et l’autre qui chante jusqu’à ce que tout le public ait pris sa place. Voici un avant-goût sur le talent des acteur·ice·s, qui s’avèrent être, en plus de ça, des musicien·ne·s. Une grande surprise et un plaisir pour le public, admiratif de ces artistes pluridisciplinaires.

Et finalement, on en arrive à la tragédie. Tragédie car l’histoire que raconte cette pièce est déchirante, cependant on ne comprendra jusqu’à quel point que lors de la scène finale ; une fin dramatique qui nous amène à réfléchir sur la complexité des émotions, à la psychologie du traumatisme, et à la cruauté du désespoir.

Pour en revenir sur l’histoire en cours, on retrouve des personnages avec des prénoms familiers, si l’on connaît un peu la mythologie grecque. Électra, Maestra, Iphigénia, Cyclathémis et Clythémnia. Ce sont nos femmes parallèles, et si l’on peut deviner à leurs prénoms quelle est leur tragédie personnelle, nous découvrirons au long de la pièce leur rôle social et leur bataille personnelle.

Le personnage d’Électra nous dévoile une femme histrionique, obsédée par les 0 et les 1 et les algorithmes. On sent son désarroi dès le premier abord : il s’agit d’une femme divisée, tombée en mille morceaux (je me permets peut-être de dire que c’est une femme… à La julienne ? Pardonnez mon humour), qui se tient à peine debout face au monde.

Maestra est la femme trans (femme à barbe rebellée contre cette appellation) qui donne la réplique à Électra et lui rappelle ce qu’elle est, ou ce qu’elle n’est pas. Une voix de la conscience des sortes, avec une maîtrise de l’accordéon et de la guitare exceptionnelle.

Iphigénia est une fille… tronc, donc sans bras, oui, c’est comme ça qu’elle est surnommée. Iphigénia comme Iphigénie, cette enfant de roi grec qui a été sacrifiée pour que les bateaux de son père puissent arriver jusqu’à Troie pour faire la guerre. Sacrifice d’enfant, un crime horrible et méprisable.

L’artiste du cerceau, Cyclathémis, qui tourne en rond « pour ne pas faire de vagues », une femme qui ne rentre pas dans l’hétéronormativité et en est condamnée à l’exil. Une performance magique, touchante, et impressionnante car en même temps qu’elle s’exhibe au cerceau, elle nous raconte et nous chante sa tragédie.

Finalement Clythémnia, la mère qui ne veut pas se reclure dans son rôle de douce maman, soignante, attendant à la maison. Elle danse pour se délier de ces liens qui l’étranglent. Elle a des amants, elle se découvre polyamoureuse… Elle veut être libre, coûte que coûte. « Ce n’est pas la morale qui gêne, c’est la liberté. »

Face à elles, un pantin, un clown, un homme changeant selon les besoins des femmes qui lui font face. Masque après masque, on découvre les faces multiples de cet homme : frère, mari, père, amant, traître… Musicien d’ensemble, aussi.

Tous ces personnages nous racontent, on le comprend vers la fin, l’histoire d’Électra, qui n’est qu’un pseudonyme pour une femme qui a vécu des expériences tellement traumatisantes qu’elle n’a d’autre façon d’y faire face que de s’inventer un cirque intérieur, où chacune de ces femmes représente une facette de sa vie. Sans aide, elle ne peut y faire face qu’en se dissociant, s’inventant des vies inspirées de la mythologie grecque pour s’oublier elle-même.

Une histoire triste, reflet des tragédies que l’on entend aux nouvelles sur la migration. Les vicissitudes que des familles entières sont contraintes de vivre pour atteindre une destination qui leur promet le bonheur, mais leur tourne le dos. La cruauté humaine, exposée sur la scène d’un cirque.

Une production originale de la compagnie de l’Ourag’enchant’é, leur première production originale, en fait. Admirablement bien construit, il s’agit d’une histoire émouvante et des performances d’artistes admirables : leur jeu d’acteur·ice·s, leur chant, leur musique. Cette compagnie construit des ponts entre disciplines, et c’est un plaisir d’y assister.

Je vous invite à aller les voir. Ils seront prochainement à l’Oriental à Vevey, du 15 au 19 mars, et à l’Étincelle à Genève, du 22 au 25 mars. Ne manquez pas l’opportunité d’assister à ce spectacle.

Alicia del Barrio

Infos pratiques :

Femmes parallèles, de Lorianne Cherpillod et Benjamin Knobil (Compagnie de l’Ourag’enchant’é), du 3 au 12 mars 2023 à La julienne.

Mise en scène : Benjamin Knobil

Musique originale : Marc Berman

Chorégraphies : Alexane Poggi

Avec Marc Berman, Lorianne Cherpillod, Mathias Froelicher, Lou Golaz, Lilas Morin et Alexane Poggi

https://www.saisonculturelleplo.ch/femmes-paralleles

Photo : ©Jacques Apothéloz

Alicia del Barrio Montañés

Thésarde qui cherche à s'évader de son laboratoire, lectrice avide et grande admiratrice de l'offre culturelle genevoise. Un mix triomphant qui a poussé Alicia à écrire sur ses découvertes cinématiques et théâtrales !

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