Les réverbères : arts vivants

Le Début : concert sensoriel à Saint-Gervais

Pour la deuxième saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produira des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.

Du 2 au 12 mars, le Théâtre accueillera Le Début, un spectacle qui remonte aux origines pour questionner notre point de vue sur le monde, dans une forme où le texte rencontrera la musique. Nous avons rencontré Julien Basler et Virginie Schell, qui se sont faits porte-parole de toute l’équipe.

La Pépinière : Virginie, Julien, bonjour et merci de nous rencontrer ce matin. En lisant le dossier de presse, j’ai été surpris de lire que vous parliez beaucoup de fin. Étonnant, pour un spectacle qui s’appelle Le Début, non ? Il y avait donc une volonté de renverser, de questionner ce qui vient avant cette fin ?

L’équipe : La fin, c’est vrai que c’était un peu un pied-de-nez dans le dossier de presse. Avant toute chose, je dois préciser que c’est un projet véritablement collectif. On a depuis longtemps un intérêt pour le début en général, l’ouverture d’un film, d’un spectacle, la naissance. Et là, au début de tout, il y a le Big Bang. Avant ce spectacle, on avait monté Mon Papa, Roi de l’Olympe, qui était adressé au jeune public, avec la même équipe qu’ici, le guitariste en moins. On se questionnait sur la naissance du monde, en s’appuyant sur le Feuilleton d’Hermès, et l’autrice Murielle Szac avait d’ailleurs participé un peu au projet. Cette fois, on avait envie de se poser d’autres questions sur les origines, parce que le début c’est une forme d’énergie, de naïveté et d’envie.

Chez l’être humain, il y a toujours cette volonté de nommer le début, mais ça reste impalpable et fragile. On essaie de comprendre le début, dans tous les domaines, mais ça reste un mystère. Donc, dans notre spectacle, on a décidé de partir à rebours, avec un personnage féminin et de remonter jusqu’au Big Bang. Parce que finalement, le mystère de ce qu’il y avant notre naissance est aussi énorme que ce qu’il y a avant le Big Bang. C’est d’ailleurs plus vertigineux que nous, ça nous dépasse. Et on se dit que s’il n’y rien avant ça, d’où est-ce que c’est venu ? Et s’il y a quelque chose, alors ce n’est pas le début…

La Pépinière : Vous évoquez un récit qui se raconte à rebours. Qu’est-ce que cela apporte en termes narratifs et réflexifs ?

L’équipe : On part d’une histoire intime, vraiment humaine, puis on remonte comme un « siphon » vers le passé. C’est comme quand on fait travelling arrière d’un point précis jusqu’aux galaxies : plus on est loin, plus cela s’accélère. En pensant toujours à cette volonté humaine de saisir, on met encore plus en avant notre petitesse et notre fragilité. Notre batteur a fait beaucoup de recherches cosmologiques, et quand il nous raconte des choses, on n’arrive pas à se faire une vraie image mentale, il y a quelque chose de l’ordre du vertige. Finalement, ce chemin vers l’intimité est gigantesque. Et donc dans le spectacle, on a un gimmick qui revient souvent, c’est « prendre de la hauteur ». On joue tout le long sur la mise en tension entre début et fin. En société, quand on parle de fin du monde, il y a toujours quelque chose d’angoissant, ça tourne en rond et ça devient anxiogène. On a un manque de largeur de vue, d’où notre volonté de prendre du recul. Donc on s’est dit que passer par la fiction, qu’on aime tellement, plutôt que par le discours nous permettrait d’amener un voyage sensoriel, émotionnel, fictionnel.

La Pépinière : Dans votre réflexion, le/la spectateur·ice est vraiment inclus·e. Comment comptez-vous l’intégrer ?

L’équipe : Ce spectacle, c’est vraiment une invitation à plonger avec nous, on veut que le public ait un rôle, qu’il soit impliqué dans le récit. Et pour ce faire, il n’y aura pas d’autres moyens que la forme de concert que prendra Le Début.

La Pépinière : C’est un choix très réfléchi donc. Pourquoi cette forme en particulier ?

L’équipe : C’était une volonté dès le départ. La mise en scène sera très statique, on est vraiment dans un concert voix où on bouge peu. L’idée est de générer des images mentales, comme un « cinéma intérieur ». D’ailleurs l’écriture est très cinématographique, avec des fondus en noir, des fondus enchaînés, des changements de plans, le tout amené par la musique. J’ai toujours en tête cette scène du film Les choses de la vie, où le héros voit toute sa vie défiler par épisodes avant de mourir. Donc on a envie d’avoir cette forme de construction imagée, en récit, appuyée par cette forme de concert. Il y aura vraiment un équilibre entre la musique et la parole, comme un dialogue. On ne veut surtout pas que la musique soit une simple illustration.

Pour construire le spectacle, on a travaillé en improvisation entre le texte et la musique, ce qui a permis l’écriture : l’un et l’autre se génère, dans un mouvement de va-et-vient. La musique raconte autant que les mots, et par moments l’un ou l’autre prend le lead, alors qu’à d’autres ce sera vraiment un ensemble. Il y a une grande interpénétration dramaturgique.

La Pépinière : Vous parlez beaucoup de fiction, de recul par rapport à l’histoire du monde. Pourquoi c’est nécessaire selon vous d’aborder un point de vue différent ?

L’équipe : C’est une question piège ça ! C’est nécessaire, c’est tout. Durant le processus de création du spectacle, on a notamment rencontré Roland Bacon, qui est astrophysicien et qui a créé un énorme télescope dans le désert d’Atacama. Il nous a raconté une anecdote. À la fin d’une conférence où il expliquait que le soleil allait tout brûler dans 5 milliards d’années, une dame est venue le voir en lui disait « Vous avez dit dans 5 millions d’années, quelle horreur ! » et quand il l’a corrigée pour lui dire que c’était 5 milliards, elle a répondu : « Ouf, vous m’avez fait peur ! ». Ca illustre bien tout le côté paradoxal de l’être humain, parce que quoiqu’il en soit, elle ne sera plus là pour le vivre. Et donc pour en revenir au spectacle, on trouve que la création artistique à ce pouvoir d’amener une réflexion par les sens. On ne veut surtout pas faire un essai philosophique, mais vraiment amener le public à ressentir quelque chose, à se laisser aller, mais on n’a rien à professer !

La Pépinière : Virginie, Julien, merci infiniment !

Propos recueillis par Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Début, création collective de Julien Basler, Zoé Cadotsch, Vincent Coppey, Mathieu Karcher, Laurent Nicolas et Virginie Schell, du 2 au 12 mars 2023 au Théâtre Saint-Gervais

Mise en scène : collective

Avec Julien Basler, Zoé Cadotsch, Vincent Coppey, Mathieu Karcher, Laurent Nicolas et Virginie Schell

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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