Les réverbères : arts vivants

Le goût des pommes

Ou le pouvoir de la terre – Yerma, de Frederico Garcia Lorca, par la Compagnie Alexandre Païta – Théâtre des Grottes jusqu’au 10 Novembre 2024.

Le ciel est leur seul horizon, la terre leur unique vérité.

Dans ce temps que les moins d’un siècle ne peuvent pas connaître, le village organisait tout, les saisons scandaient tout et le labeur était la seule réalité. Les hommes aux champs, les femmes à l’enfantement et Dieu au ciel. Garcia Lorca écrit son histoire sur ce fond pastoral à la rudesse quotidienne, supportable uniquement si les choses et chacun·e demeurent à leur place. Cela fonctionne depuis toute éternité, en apparence.

Avec Yerma, une jeune femme épouse de paysan, l’auteur glisse un grain de sable : l’héroïne n’a pas d’enfant et refuse cet état.

On le sent, la révolte est inutile et l’acceptation le seul moyen de vivre. Mieux vaut accepter et agir. Seulement l’acceptation dépend moins de ce que l’on veut que de ce que nous sommes. C’est tout le propos de ce profond spectacle.

Alexandre Païta est un metteur en scène amoureux du verbe, passionné d’histoires intenses. Avec la trilogie de Garcia Lorca, Bodas de sangre (Yerma, Noces de sang, la Casa de Bernard Alba) le metteur en scène trouve de quoi exprimer ce qu’il aime dans son art : la poésie du texte, intensité des conflits avec des personnages simples, c’est-à-dire indivisibles.

Juan (Youri Hanne) le mari est un paysan et un amant sans trop d’imagination. D’ailleurs au village, ils le sont tous. Yerma est femme au foyer, elles le sont toutes. Seulement Yerma s’ennuie chez elle et désespère de tomber enceinte. Un très beau rôle du répertoire de Garcia Lorca, que Sonia Vieira Cardoso porte de manière vivante et charnelle. Yerma : on la questionne, elle se confie, on évoque sa situation à chaque coin de rue. Plus particulièrement lors d’une très jolie scène au lavoir où les solutions, les explications basiques s’imposent : y’a plus qu’à, y’avait qu’à, qu’elle y mette du cœur…persuadées qu’elles sont « que les enfants viennent comme l’eau coule ».

Alexandre Païta enrobe sa mise en scène avec juste assez d’éléments de scène pour laisser les planches aux comédiens et comédiennes et l’imaginaire au public. La terre qui est au cœur des écrits de Garcia Lorca est présente par projection. Des images de plaines, de murs de pierre et de ciel bleu d’où tout peu arriver. Sur scène, quelques pommes, un peu de vin, un brin de paille rappellent la terre. Il manque un peu de cette poussière andalouse qui colle aux visages, noircit les ongles et empèse les chemises.

Pour retrouver son équilibre, la communauté use de tous ses moyens. Les confidentes empathiques, la surveillance par une belle-sœur au rôle de duègne, la religion via des prières conseillées par une sorte de diseuse en châle. La mise en scène entretient cet étouffement autour de Yerma avec une communauté féminine portées par des comédiennes belles et touchantes (Pat Lagadji, Daniela Sepulveda, Marie Camille Courvoisier).

Dans ce monde, où les hommes cultivent les pommes et n’en connaissent pas le goût, où les femmes sans enfants sont considérées comme sèches, ils se trompent tous. C’était ainsi lorsque l’ignorance était au pouvoir, la stérilité était quoi qu’il en soit souvent du côté de la femme et ce raisonnement était partagée par les deux sexes.

La mise en scène porte le propos avec sensibilité jusqu’à la dernière scène, où Yerma trouvera – lors d’une étreinte forcée, une solution sans retour, dévoilant ainsi à tous la profondeur abyssale de son mal-être. Elle n’a pas accepté et elle a agit.

Un spectacle passionnant dirigé par un metteur en scène passionné.

Jacques Sallin

Infos pratiques : Yerma, au Théâtre des Grottes, du 31 octobre au 10 novembre 2024

Mise en scène : Alexandre Païta

Avec Sonia Vieira Cardoso, Pat Lagadji, Youri Hanne, Daniela Sepluveda, Jean-Baptiste Blondel, Stéphanie Monastesse, Maire- Camille Courvoisier, Mileine Homsy, Antoine Bottiroli, Maé Mottaz

https://www.geneve.ch/agenda/yerma

Photos : Compagnie Alexandre Païta

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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