Les réverbères : arts vivants

Le Petit chaperon rouge pour adultes

Du sexe, de la drogue et un peu de rock’n’roll. Ainsi pourrait-on résumer, en substance, Chemins de sang – une version adulte et moderne du célèbre Petit chaperon rouge, écrit par Camillo Pellegrini et mis en scène par Frédéric Polier, jusqu’au 19 décembre 2019 au Théâtre Alchimic.

Prenez une adolescente rebelle qui a volé tout l’argent de sa mère avant de s’enfuir de la maison. N’ayant plus rien pour payer ses soins, la mère se suicide. Incorporez à cela un Grand méchant loup qui, après s’être essayé aux carrières de mannequin et de comédien, s’est reconverti dans la production de foie de jeunes vierges – il doit en manger un par jour – et qui entretient une relation amoureuse avec Mère-grand, star de la télévision. Une double vie d’ailleurs cachée à sa petite-fille, de peur que Mère-grand ne voie sa maison dans la forêt  dévoilée dans les médias. Ajoutez à tout cela un chasseur réinterprété en policier homosexuel refoulé, qui s’épanouira après avoir rencontré Rouge, devenant sa marraine la bonne-fée, lui qui aura éclos tel un papillon de lumière, et vous obtenez la recette de ce Petit chaperon rouge complètement déjanté !

Drôle et déjanté

Avec ce titre, Chemins de sang, on pourrait s’attendre à une pièce sombre, voire moralisatrice. Il n’en est rien. Ce spectacle est une comédie, surprenante à bien des égards, qui nous emmène dans l’univers totalement décalé de Camillo Pellegrini. Qui mieux que Frédéric Polier pouvait s’emparer d’un tel spectacle pour le mettre en scène ? Sa formidable troupe (Charlotte Filou, Julien Tsongas, Angelo Dell’Aquila et Camille Giacobino) enchaîne les moments inattendus, avec des références à la culture populaire. On citera ainsi cette reprise d’On ne change pas de Céline Dion interprété par un policier devenu papillon et monté sur roller – chorégraphie kitsch à l’appui – ou encore le cultissime Papillon de lumière de Cindy Sanders, chanté et dansé en duo par le policier et Rouge. Un moment hilarant qui donne un petit aperçu de ce qu’est devenu Le Petit chaperon rouge

L’univers proposé n’est pas sans rappeler certains films. On évoquera Quentin Tarantino et son humour parfois absurde, mélangé à un côté gore que l’on retrouve dans certaines scènes, comme celle de la boîte de nuit : alors que le Grand méchant loup doit manger un foie de vierge pour ne pas se transformer, Mère-grand doit quant à elle appliquer sa crème afin que sa peau en plastique ne tombe pas… Hitchcock n’est pas en reste, avec une allusion à la célèbre scène de la douche dans Psychose, désamorcée à la perfection par Rouge, qui se sent enfin en sécurité au moment où elle l’est le moins.

Cette réinterprétation fait également la part belle au langage moderne. Allant de surprises en surprises, Rouge n’hésite pas, par exemple, à traiter sa mère de « sale pute », alors que le Grand méchant loup visite tous les endroits qui sont the place to be. On se moque ainsi de certaines conventions, de phrases devenues lieux communs, avec cet humour toujours grinçant. L’esthétique ultra-contemporaine du décor, avec ses cabines en plexiglas, l’écran en fond de scène et les costumes actuels vient rappeler qu’on quitte l’univers du conte pour entrer dans celui d’une réalité pas si éloignée de la nôtre. Un parti pris du metteur en scène qui inclut le spectateur dans le propos final du texte de Camilo Pelligrini

Chemins de sang, c’est donc une réinterprétation du Petit chaperon rouge, à la façon des Frères Grimm – rappelons que dans leur version originale, Rouge et sa Mère-grand deviennent de sanguinaires chasseuses de loup – avec des thématiques et des références modernes. Le conte de fée est toujours présent en filigrane, bien que dépassé et rendu grotesque par le jeu volontairement stéréotypé de Charlotte Filou dans les scènes équivoques. L’univers est plus adulte, avec des allusions au sexe, à la drogue, mais également à certains excès de notre société, dans la publicité ou dans les séries parodiées. Au-delà du rire, on réfléchit donc à notre propre façon de vivre.

L’humour aurait pu être lourd et mettre le spectateur mal à l’aise, notamment avec le personnage du policier, volontairement exagéré, mais il n’en est rien. Le second degré toujours présent est rafraîchissant et se moque des conventions. Merci pour ce moment !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Chemins de sang de Camilo Pellegrini, du 29 novembre au 19 décembre 2019 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Frédéric Polier

Avec Angelo Dell’Aquila, Charlotte Filou, Camille Giacobino et Julien Tsongas

https://alchimic.ch/chemins-de-sang/

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *