Le banc : cinéma

Le prince oublié : les transitions autrement

En début d’année dernière, Michel Hazanavicius signait Le prince oublié, un film mettant en scène Omar Sy, dans la droite ligne des comédies dont il a l’habitude de gratifier ses spectateurs. Un long-métrage qui raconte la transition entre l’enfance et l’adolescence, mais pas uniquement.

Djibi (Omar Sy) vit seul avec sa fille Sofia depuis le décès de sa femme. Signe de leur grande complicité, il lui invente chaque soir une histoire différente, dans laquelle il est le prince et elle la princesse. À l’écran, s’alternent donc les scènes de la vie réelle et celles du monde des contes, à l’univers particulièrement coloré. Une fois le récit du soir terminé, les personnages de ce monde parallèle sortent du plateau et rentrent chez eux, dans la loge qui leur est réservée, à la manière d’un immense studio de cinéma. Seulement voilà, Sofia (Sarah Gaye) grandit et entre au collège, avec tous les problèmes que l’adolescence peut causer : ses intérêts ne sont plus les mêmes, les premiers émois amoureux apparaissent, le corps change… et les relations avec son père deviennent parfois tendues. Alors, quand Sofia ne veut plus d’histoire le soir avant de s’endormir, le prince est remplacé par un adolescent (Max / Néotis Rozon), et c’est tout l’imaginaire qui en est chamboulé… jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle voisine un peu déjantée (Bérénice Béjo), qui n’arrangera rien !

Montrer la transition de façon originale

Des histoires sur le passage à l’adolescence, avec les conflits que cela entraîne, on en a déjà vu des centaines sur nos écrans. Michel Hazanavicius parvient ici à montrer cette transition sous un autre angle, plus intime, plus personnel. Le monde imaginaire de Sofia subit les influences des changements de la vie de la jeune fille. Petit à petit, le prince originel est relégué au rang de personnage secondaire et risque de finir aux oubliettes. Un joli moyen d’illustrer le fait qu’à l’adolescence, il est courant de rejeter un peu ses parents pour obtenir plus d’indépendance. Ce choix du réalisateur permet de comprendre un peu mieux ce qui se passe dans l’esprit d’une adolescente, dans une période où la transition n’est pas simple. Mais elle n’est pas la seule à vivre cette transition, et c’est là le deuxième intérêt du scénario du Prince oublié. Car pour le papa aussi, cette transition n’est pas simple. Il s’est dévoué corps et âme à sa fille, et il est difficile pour lui d’accepter de lâcher un peu de lest. Difficile, bien sûr, car il n’est jamais simple de voir son enfant grandir et s’affranchir. La situation est toutefois compliquée par le fait qu’il est seul, depuis la mort de sa femme. Si sa fille s’éloigne de lui, quels intérêts aura-t-il dans la vie ? C’est là l’un des questionnements centraux de ce film, et la réponse sera vite trouvée avec l’arrivée de Clotilde, la voisine déjantée. Nul besoin d’en dire plus ici, on comprendra rapidement quelle sera l’issue…

Un humour potache au service d’une comédie familiale

Car oui, tout n’est pas si original dans ce film. Et il fallait bien cela pour appuyer l’humour potache à la française sans lequel cette comédie n’en serait pas une. On citera ici les tentatives toutes plus ridicules les unes que les autres de Clotilde pour attirer l’attention de Djibi. Citons ici la première d’entre elles, qui consiste à sonner à la porte de son voisin pour n’importe quel prétexte, qu’il s’agisse de lui demander des piles ou qu’il lui explique comment ouvrir le garage… Le tout suivi des réflexions à voix haute de la jeune femme après d’être fait rembarrer. Mais cet humour fonctionne bien ! Et il s’instille dans l’univers des histoires, proche de celui des contes de fées. Toute la relation entre le Prince et son adversaire de toujours, Pritprout (François Damiens), est agrémentée par les vannes que s’envoient les deux protagonistes, et auxquels nous a habitué Michel Hazanavicius, notamment dans les deux premiers opus d’OSS 117. On retrouve encore une fois le duo qui fonctionne si bien chez lui : un personnage trop sûr de lui, accompagné d’un être plus malin que le premier ne le pensait.

Des mécanismes classiques

On l’a déjà évoqué, certains mécanismes scénaristiques sont bien connus : si Djibi rejette d’abord Clotilde, leur relation finira bien sûr par évoluer. Tout finira bien et le Prince ne sera jamais complètement oublié, il apprendra à cohabiter et laisser un peu plus de place à d’autres personnages. De même, quand le Prince et Pritprout (François Damiens), pour renverser le nouveau prince et le conduire aux oubliettes, on ne peut que se demander à quel moment Pritprout va le trahir, ce qui ne manque évidemment pas d’arriver ! Et pourtant, on ne se sent pas dérangé par ces mécanismes déjà tant et tant employés. Le prince oublié est avant tout une comédie familiale et il fallait bien que certains ressorts connus y soient encore employés. On citera encore le rôle de la voisine qui, sous ses apparences déjantées, apportera bien plus d’aide pour débloquer la situation que Djibi ne le croit dans un premier temps.

Au final, on termine Le prince oublié avec un sentiment de bien-être. Sans être LA comédie de l’année, reposant sur des ressorts connus et qui fonctionnent toujours aussi bien, elle présente surtout l’originalité de montrer la transition d’une jeune fille à travers son imaginaire, d’une façon qui n’avait sans doute pas été très abordée jusqu’ici dans le genre de la comédie française. L’humour est bien présent et donne un peu de légèreté à cette période de tensions. Le prince oublié réussit donc son pari de comédie familiale, tout en apportant une petite touche rafraîchissante et poétique qui fait du bien… et qui pourrait bien enseigner à quelques parents à lâcher un peu de lest, et aux adolescents à ne pas être trop durs avec leurs parents dans un moment où, eux aussi, doivent accepter quelques changements.

Fabien Imhof

Référence :

Le Prince oublié, de Michel Hazanavicius (2020), avec Omar Sy, Bérénice Béjo, François Damiens, Sarah Gaye… 1h43.

Photos : https://www.leprogres.fr/sante/2020/02/01/participez-a-la-recherche-en-allant-voir-le-prince-oublie (banner) © Roger Arpajou / Pathé Films (inner)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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