Le banc : cinéma

Le Ravissement : dans la spirale du mensonge

Avec Le Ravissement, Iris Kaltenbäck explore l’engrenage d’un mensonge qui relie les destins de trois personnages traversés par la solitude. Inspiré d’un fait-divers, son premier long-métrage se déroule sous la forme de récit rétrospectif pris en charge par Milos, un chauffeur de bus taciturne. Une fois la tempête passée, le narrateur retrace les circonstances qui l’ont conduit à être impliqué dans un crime, la première étant sa rencontre avec une jeune femme énigmatique : Lydia.

Sage-femme accomplie et récemment séparée, Lydia, incarnée par Hafsia Herzi, passe ses nuits à errer dans la ville et ses journées à assister des mères lors de leur accouchement. Parmi ces femmes se trouve Salomé, sa meilleure amie et unique compagne, qui, depuis l’annonce de sa grossesse, se consacre de plus en plus à sa future maternité. Un jour, alors que Lydia porte dans ses bras l’enfant de son amie, elle tombe par hasard sur Milos, un homme avec qui elle a eu une aventure d’un soir et qui a rapidement mis fin à leur histoire. Ainsi commence le mensonge dans lequel les trois personnages vont se trouver empêtrés, et auquel le narrateur – Milos – va revenir dans l’espoir de déterminer sa part de responsabilité.

Cette trame policière au suspense hitchcockien, ancrée dans une atmosphère urbaine et nocturne, monte en tension jusqu’à ce que les impliqué·e·s perdent tout sens de la réalité. En effet, Le Ravissement n’est pas sans rappeler le film noir ; et pourtant, Lydia n’a pas grand-chose de la femme fatale. Si Herzi prête un visage sévère à la protagoniste, elle réussit à susciter notre empathie pour ce personnage qui va au bout de son mensonge parce qu’elle y trouve une vérité profonde. N’oublions pas l’ambivalence du titre choisi par Kaltenbäck : le mot « ravissement » renvoie non seulement à un enlèvement de force, mais aussi à un « état de bonheur, de plaisir extrême »[1]. Derrière le mirage de la vie fabriquée par Lydia, l’amitié entre femmes, le plaisir d’une rencontre amoureuse sous le signe de l’insomnie et la possibilité d’une parentalité partagée restent des joies authentiques. Mais, qu’en restera-t-il lorsque la tromperie sera éventée ?

Loin d’être un récit manichéen, Le Ravissement nous fait découvrir des personnages aux motivations complexes, dont les actes sont aussi condamnables que compréhensibles. C’est là que réside la force de son narrateur : bien que dupé, il ne se contente pas de pointer du doigt les femmes qui l’entourent, ce qui, avouons-le, est rare chez ce type de personnage masculin. Si la situation se prête à projeter sur Lydia l’archétype de la femme fatale – enjôleuse, manipulatrice et poussant son amant au crime –, Milos ne porte aucun jugement sur la protagoniste et reste résolu à déterminer sa part de responsabilité dans cette histoire : a-t-il été victime, témoin ou complice ? Or, et c’est notre seul reproche, la question se pose à la fin du film, et la présence de Milos en tant que narrateur reste sporadique. Nous nous sommes même demandé si le statut qui lui était accordé était justifié, si un autre personnage – Salomé, par exemple – aurait pu remplir son rôle, et si, en fin de compte, le film n’aurait pas tenu debout tout seul, sans narrateur. À vous de juger !

Abril Trujillo

Référence : Le Ravissement, réalisé par Iris Kaltenbäck, France, 2023, sortie en salles le 11 octobre 2023.

Avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse.

Photo : © Diaphana Distribution

[1] https://www.cnrtl.fr/definition/ravissement

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