La plume : BA7La plume : créationLa plume : littérature

Pastiche : 94 cm

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Nolwenn Gorgoni qui prend la plume. Elle nous invite dans un pastiche, à la manière de Des Forêts. Bonne lecture !

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94 cm

À la manière de Des Forêts

Enfant au ventre bombé de Smarties dépassant du costume de bain à pois, les cheveux emmêlés, le regard égaré, grelottant sous son linge de bain, et gouttant, du bout de la langue, au sel déposé sur ses lèvres par la mer.

Martellement dans la poitrine en entendant le rugissement s’amplifier à mesure que le monstre, gravissant lentement l’escalier, s’approche de la chambre enfantine. N’osant plus respirer, l’enfant reste immobile, les pieds recroquevillés sous les draps fins de l’été. À travers les futiles barreaux du lit minuscule, un dernier regard lancé à la pièce sens dessus dessous, lorsque la poignée s’abaissant soudain, laisse apparaître le visage familier de celle qui avait endossé le rôle maternel, les yeux d’abord furieux en voyant le cheni réapparu à l’heure du ménage, puis amusés, faisant mine de n’avoir vu l’enfant fermer précipitamment les yeux et prétendre être assoupie.

Une voix fendant la pénombre, un haussement de paupière et une robe de chambre en satin s’engouffrant déjà dans la lumière du corridor. Une odeur de café et de pain brûlé embaumant l’appartement, deux petits pieds mal réveillés faisant grincer le parquet usé avant de venir tapoter les carreaux glacés de la cuisine. Par-dessus l’évier, un regard malicieux jeté sur les deux mains ridées grattant du couteau la couche calcinée du pain grillé.

Peignoir trop grand trainant sur le sol humide de buée, musc poivré à peine vaporisé remplissant les petites narines de l’enfant, le front déjà appuyé contre le ventre paternel pour que ces mains familières démêlent ses cheveux mouillés à la sortie du bain.

Cinq doigts raidis par le temps, ne sachant tout à fait comment être tendres, mais, voulant malgré tout s’essayer à une caresse, tapotant maladroitement la main de l’enfant amusé avant de regagner solennellement, sans un regard, le bras du fauteuil en cuir rose.

Nolwenn Gorgoni

Photo : © Caio

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