Les réverbères : arts vivants

Le rêve face au choc des cultures

Marrakash, la nouvelle création du Théâtre Marathon nous emmène dans un véritable choc des cultures, entre l’Occident et le Proche-Orient. Il y est question d’espoirs déçus, de jeux de manipulation et d’une acclimatation forcée aussi rapide que difficile. À voir à la salle communale de Plan-les-Ouates jusqu’au 24 avril.

Jean et Monique sont désormais à la retraite. Sur les conseils de leurs amis Catherine et Roger, iels achètent un riad à Marrakech, dans lequel iels décident d’installer des chambre d’hôtes. Le rêve est beau et l’espoir d’une retraite enchantée également. Mais bien, vite les soucis s’accumulent : en attendant l’arrivée de Monique, Jean s’entiche d’Aïcha, qui se révélera être bien plus qu’une simple femme de ménage ; les difficultés administratives mettent les nouveaux propriétaires dans une situation délicate, les obligeant à multiplier les bakchichs ; sans oublier Karim, le soi-disant frère d’Aïcha et homme à tout faire des lieux… Le rêve tourne alors au cauchemar. Et alors qu’Aïcha et Karim se révèlent indispensables pendant que leurs relations avec Jean et Monique se compliquent, ces derniers trouvent la solution idéale pour s’échapper : refiler la patate chaude à Catherine et Roger. Après tout, ce sont eux qui les ont incités à se mettre dans ce bourbier, non ?

Le choc de l’utopie exotique

Le projet avait tout du rêve : couler des jours paisibles dans un pays chaud, en bord de mer, en gérant tranquillement des chambres d’hôtes grâce au personnel engagé. Seulement voilà, la culture n’est pas la même, et outre la ponctualité et l’organisation vues très différemment entre leurs idées « vieille France » – comme le dit si bien Jean – et le Maroc, c’est à de nombreuses autres difficultés qu’il faut faire face. Les règles sont différentes, notamment au niveau de l’administration, et la barrière de la langue ne facilite pas les choses. Sans oublier les nombreux stéréotypes véhiculés notamment par Catherine et Roger, et qui ne font qu’augmenter la méfiance mutuelle entre Jean et Monique d’un côté, et Aïcha et Karim de l’autre…

L’intérêt de Marrakash est de nous présenter l’autre point de vue, celui des deux protagonistes locaux. Démentant en partie les clichés, iels les affinent également, et permettent surtout de comprendre la source de certains de leurs agissements, vus d’un mauvais œil par les Occidentaux. Les conditions générales du pays ne sont pas les mêmes qu’en Suisse ou en France et il est bien plus difficile de trouver du travail. Preuve en est avec Aïcha qui, malgré son master en comptabilité, se retrouve à faire des ménages et à vendre ses charmes… Si Aïcha et Karim sont rapidement perçus comme des escrocs manipulateurs, la réalité qu’iels montrent permet de remettre en question cet état de fait et le questionner. Outre ce qu’on a déjà évoqué, il y a aussi tout le rapport au passé colonial, entre la France et le Maghreb, qui est sous-tendu dans cette histoire. Les rapports de force sont bien installés et ancrés à l’intérieur des têtes des habitant·e·s, comme dans celles des Occidentaux qui viennent s’installer ici pour leur retraite. Pas étonnant dès lors qu’on cherche à retourner la situation, tout en s’enlisant paradoxalement dans une condition  dans laquelle Aïcha et Karim se confondent eux-mêmes. D’où la source des conflits avec les nouveaux propriétaires, mais aussi entre eux…

Une pièce rythmée

La mise en scène de Richard Gauteron est sobre : le seul décor est constitué de la fontaine qui trône au centre de l’espace organisé de manière tri-frontale. Parfois agrémenté de tabourets et d’une table, ce sont surtout les mots et l’utilisation de la scène surélevée de la salle, en fond de plateau, qui suggèrent les différents lieux. Ces derniers sont simplement indiqués par les costumes et les répliques des comédien·ne·s. On les suit ainsi parfaitement du riad au coin de pêche, en passant par certaines rues de Marrakech ou encore l’aéroport.

Les scènes imaginées par l’écriture de Richard Gauteron s’avèrent plutôt courtes. Bien souvent, elles se superposent d’ailleurs, en proposant deux scènes en parallèles, interrompues par l’extinction des lumières et l’éclairage porté sur l’autre lieu. Cela permet de voir plusieurs points de vue se confronter au même moment, sans que les personnages ne s’en rendent compte. On rassemble alors rapidement les pièces du puzzle, avançant rapidement dans l’intrigue. Le spectacle ne dure ainsi qu’1h20 environ, et pourtant, beaucoup de choses sont abordées. On aurait sans doute aimé, par moments, que certains éléments soient quelque peu approfondis, les transitions rapides nous perdant quelque peu. Mais l’ensemble se tient plutôt bien, et les ellipses plutôt bien expliquées, permettant au public de comprendre le propos du spectacle sans difficulté.

Au final, Marrakash est un spectacle bien rythmé qui met en avant un choc de cultures, remettant en question certains stéréotypes, mais soulignant une constante, subtilement amenée dans le titre du spectacle d’ailleurs : c’est, malheureusement, toujours l’argent qui régit le monde.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Marrakash, de Richard Gauteron et le Théâtre Marathon, du 12 au 24 avril 2024 à la salle communale de Plan-les-Ouates, puis du 10 au 12 mai 2024 au Théâtre de la Poudrière à Neuchâtel.

Mise en scène : Richard Gauteron

Avec Karim Abdelaziz, Caroline Cons, Jean-Marie Fauché, Giovanna Anna Gambuzza, Aoitef Kouki et Tony Jeanneret

http://www.theatre-marathon.com/les-cr%C3%A9ations-professionnelles/

Photos : © Théâtre Marathon

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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