Les réverbères : arts vivants

Quichotte : au royaume de la fiction, les hidalgos sont rois

Pour la troisième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations de la saison. S’approprier un parangon de la littérature médiévale pour l’adapter à la symbolique contemporaine : tel est le pari de la Cie Les Fondateurs. Du 18 au 28 avril, le Théâtre Saint-Gervais accueille leur dernière création, Quichotte, chevalerie moderne. Reportage, à une semaine de la première.

Tout commence… par une attente. Celle qui précède le filage, qui doit avoir lieu en ce mercredi après-midi. « On a un peu de retard sur l’horaire », s’excuse le metteur en scène Julien Basler, qui m’a accueillie au second sous-sol du théâtre. Un peu de retard – mais ça n’a rien de grave, quand on est dans une salle où il y a tant de choses à voir.

Avant de procéder à la mise (c’est-à-dire, à l’installation de l’ensemble des décors et accessoires présents sur les planches, dans la disposition qui doit être celle prévue au début d’une pièce), on s’active en plaisantant. À la scénographie, on croise Zoé Cadotsch  ; aux lumières et à la régie, Matthieu Baumann (assisté de Zacharie Heusler) ; à la création sonore, Laurent Nicolas. Il y a aussi la costumière, Barbara Schlittler, et Virginie Schell à la dramaturgie et à l’écriture. Sans oublier les acteur·ice·s : Anne Delahaye, David Gobet, François Herpeux.

Et là, je confesse qu’étant très mauvaise pour retenir les prénoms, il est un peu difficile de se souvenir après coup de qui est qui – aussi, j’espère n’avoir oublié personne !

Ce qui compte, davantage que mes trous de mémoire patronymiques, c’est que le décor de Quichotte, chevalerie moderne, entre deux essais son et lumière, se déploie sous mes yeux… et qu’il est intrigant. Tout le monde met la main à la pâte pour faire les derniers ajustements. À première vue, on a l’impression d’un atelier de bricolage, avec un joyeux foutoir de caisses, d’outils et de pots de peinture (ou de colle ?).

… ah, et j’oubliais ! Une paroi grise percée d’un rectangle, flanquée d’un micro et de deux haut-parleurs. Mais qu’est-ce qui se trame par ici ?!

Immersion dans un filage

« Entrée public ! », lance Julien Basler une fois que tout est en place. Ces mots sont un signal : lancement de la musique d’ouverture… et début du filage. Dans la salle, nous sommes plusieurs – membres de la Cie et quelques spectateur·ice·s « test », prêt·e·s à plonger dans la fiction de Quichotte, chevalerie moderne. Nous retenons notre souffle.

Il ne me viendra évidemment pas l’idée ici de divulguer les tenants et aboutissants de l’intrigue, les ressorts de la dramaturgie, les revirements de cette (re)lecture du roman de Miguel de Cervantès. Pour cela, vous devrez attendre la critique, qui viendra en temps et en heure ! Je me contenterai de suggérer ici quelques pistes de réflexion en amont, quelques éléments qui m’ont suffisamment marquée pour me trotter dans la tête en sortant de ce filage.

D’abord, c’est la construction astucieuse de cette pièce, que m’avaient déjà suggéré mes échanges avec Zoé Cadotsch, Julien Basler et leur équipe. Plutôt que de proposer une adaptation de Don Quichotte (voie qui aurait été attendue, mais un peu trop facile !), la Cie Les Fondateurs choisit (à l’instar de son travail sur Dom Juan et Les Bovary) de s’approprier son essence : grâce à un travail d’improvisation et de lecture rapprochée du texte, la troupe crée une fable moderne qui explore les possibles incarnations contemporaines du « donquichottisme » – c’est-à-dire, pour faire simple, les actions désintéressées et idéalistes de celles et ceux qui choisissent de défendre une cause qu’iels estiment légitime. Un trait de caractère du héros de Cervantes, donc, devenu au fil du temps un nom commun pour désigner un comportement pouvant exister en dehors de la littérature – un peu comme le « bovarysme » (état d’insatisfaction provoquant une fuite dans la fiction) est né du personnage d’Emma Bovary.

La construction ne tient pas seulement en ce traitement particulier de Don Quichotte – mais surtout dans la manière, formelle, de plonger dans l’exploration de ce mythe littéraire. Sans révéler le fin mot de l’histoire, je vous dirai simplement que Quichotte, chevalerie moderne met au cœur de son propos la question de la narration – c’est-à-dire la manière dont on raconte une histoire, dont on met en place un récit. Plus encore, ce sont les minces barrières séparant narration et action, instance narrative et personnages, fiction et réalité qui sont brinquebalées de droite et de gauche, aussi insaisissables que les ailes d’un moulin à vent qu’on essaierait d’arrêter…

Ce que je retiens encore de Quichotte, c’est son insaisissable poésie – faite d’un mélange de genres : romanesque, poétique et épique d’un côté, quotidienne, humoristique et politique de l’autre ; réflexive et critique d’une part, absurde et vociférante de l’autre. Et pourtant… ces deux voies finissent par se rejoindre pour ne former qu’un seul et même chemin, celui de la fiction qui, loin d’être simple évasion ou divertissement savant, peut réellement changer le réel.

* * *

Difficile, vous l’aurez donc compris, de vous en dire plus sur Quichotte, chevalerie moderne, sans révéler les enjeux de la pièce – ce serait vous gâcher le plaisir en anticipant trop l’intrigue. En attendant la première, c’est avec un sourire que j’ai quitté le Théâtre Saint-Gervais, en pensant aux discussions et échanges avec la troupe qui ont suivi le filage… un moment de partage passionnant, qui a permis de consolider certaines pistes de réflexion !

Vivement la première, pour voir enfin la version finale de Quichotte se déployer sur scène et trouver un public que j’espère nombreux !

Magali Bossi

Infos pratiques :

Quichotte, chevalerie moderne, de la Cie Les Fondateurs (librement inspiré de L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantès), du 18 au 28 avril au Théâtre Saint-Gervais.

Conception : Zoé Cadotsch, Julien Basler

Mise en scène : Julien Basler

Avec Anne Delahaye, David Gobet, François Herpeux

https://saintgervais.ch/spectacle/quichotte-traite-de-chevalerie-moderne/

Photo : © Laurent Nicolas

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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